Existe-t-il une spiritualité laïque ?

Spiritualité laïque : un non-sens. 

Spiritualité laïque… c’est une formule qu’emploient parfois les dévots de la Laïcité pour invoquer une démarche spirituelle qui serait exempte de toute croyance ou de toute référence divine. Mais qualifier de laïque une spiritualité, quelle qu’elle soit, n’est-ce pas dévoyer l’idée même de laïcité ? Vous ne voyez pas ?

Alors il faut que je vous raconte l’histoire de Loïc, de son vrai nom Fernand.

Il était une fois, il y a bien longtemps, avant l’avant, des hommes sont sortis de leurs cavernes obscures et ont marché vers la lumière.

Ils ont marché longtemps, longtemps, heureux d’être enfin éclairés et de ressentir sur leur peau la chaleur de ces rayons dont ils ne comprenaient pas la nature.

C’est alors que quelques-uns d’entre eux, inspirés, se sont revêtus de chasubles dorées pour expliquer aux autres que cette lumière portait un nom : Dieu ; que cette lumière, Dieu, les avait créés ; que c’était elle qui guidait leur pas, que c’était vers elle, donc vers Dieu qu’ils marchaient… Dieu, déjà, les faisait marcher !

Et les hommes étaient heureux de marcher car cette lumière leur semblait éclairer désormais plus que leur chemin mais l’humanité toute entière ; cette lumière leur semblait chauffer désormais plus que leur corps mais leur cœur, et un truc tout nouveau qui venait de sortir : leur âme.

Un jour des prêtres, troquant leurs chasubles dorées contre de noires soutanes qui les faisaient ressembler à des corbeaux, déclarèrent aux hommes :

« Si tu crôa, tu parviendras à la lumière. Si tu ne crôa pas, tu retourneras pourrir dans l’ombre des cavernes. »

Ces corbeaux noirs -devenus clercs- interdirent aux hommes de ne pas croire :

« Tu crôa ou tu crôa pas ! Tu marches comme nous ou tu ne marches pas. Croire sera ton chemin de crôa ! » … sous peine de rôtir par les flammes de l’enfer. »

On ne me crôa pas ?

Pourtant cette marche forcée dont tous les hommes étaient priés –instamment priés ! – d’observer le pas régulier, promena l’humanité, longtemps, très longtemps. Et gare à qui ne marchait pas au pas ! Les tentatives de marcher autrement étaient mâtées, par les flammes et dans le sang par des Inquisiteurs patentés.

On marcha même jusqu’en Orient pour apprendre à marcher comme il se doit, à ceux qui, au Levant, se trouvaient pourtant les premiers illuminés.

Il faut dire qu’en ce temps-là, les Compagnies de marcheurs se tiraient la bourre, chacune d’elle considérant que sa propre marche, son propre pas, étaient les seuls qui permissent d’atteindre la vraie lumière.

Jusqu’au début du siècle avant-dernier, l’Ordre des Marcheurs Papistes, puissante Compagnie derrière laquelle marchaient les puissants, réglait le pas de tous les marcheurs de la société civile : les marcheurs du dimanche appelés par dévotion à vénérer la lumière ; les marcheurs de la semaine astreints, par leur labeur, à enrichir et conforter l’Ordre des Marcheurs établis.

Des libres-marcheurs suggérèrent un jour que chacun désormais aurait le droit de marcher sur le chemin de son choix, au pas qui lui convînt. Scandale !

Cette liberté d’envisager la marche fit toutefois rapidement des émules. Ainsi, las de se voir imposer le pas de dieu par une prêtraille de marcheurs omnipotents et calottés, des cercles de marcheurs qui aspiraient à marcher sans qu’on les fît marcher, marquèrent brutalement le pas : « on ne marche plus ! » se rebellèrent-ils.

Ils décidèrent même de créer des écoles de marche publiques où l’on apprendrait à marcher librement… à ne plus marcher au pas !

« Le pas est sacré ! Attention à la marche. » croassèrent les corbeaux marcheurs qui savaient aussi voler. On sonna le tocsin !

C’est alors que Fernand (alias Loïc) intervint.

Au terme d’une longue et éprouvante marche, il réussit, le 9 décembre 1905, à séparer les belligérants.

Par la loi qui porte aujourd’hui son nom, Fernand (Loïc) accorda à chacun le droit de déambuler, de courir, sauter, piétiner, cheminer au pas de son choix, au pas cadencé ou au pas de l’oie, au pas léger de l’autruche ou au pas lent du chameau, d’un pas pépère ou d’un pas précipité, d’un pas martial ou d’un pas traîné, d’un pas douteux ou d’un pas très franc, et de marcher isolément ou deux par deux en amoureux, par trois en fraternité ou de se rassembler nombreux pour défiler. Tous les pas, toutes les marches devenaient égales aux yeux de Fernand. Nulle compagnie de marcheurs ne pouvait imposer désormais son pas aux autres compagnies. Fernand (Loïc), par sa loi, garantissait à chacune d’elle le libre exercice de sa manière de marcher.

Tous les marcheurs convinrent cependant que dans la rue, lieu de croisement des marcheurs de toutes sensibilités, la meilleure façon de marcher sans se cogner restait encore celle de mettre un pied devant l’autre et de recommencer !

Bien sûr, les compagnies de marche traditionnelles qu’on empêchait désormais de régner sur les marches publiques, se moquèrent de la marche chaloupée des pingouins des petits cercles de libres-marcheurs qui, les comiques, n’assignaient plus à leur marche vers la lumière une destination sacrée. Nombre de ces pingouins, vexés que leur Marche fût à ce point déconsidérée, eurent l’idée de la désigner sous le nom de « Marche Fernande », signifiant par-là que, bien que guidés comme tous les humains vers plus de lumière, ils n’attribuaient à leur marche aucun caractère divin.

Marche Fernande ? Fernand s’en montra fort mécontent. Il dût alors expliquer à ses adorateurs pourquoi son nom ne pouvait être associé à quelque marche que ce fût, pas plus à la marche des libres-marcheurs, qu’à toute autre marche d’ailleurs.

« Ma loi, rappela-t-il, reconnait toutes les marches sans en privilégier aucune ; elle garantit leur enseignement et leur libre exercice, que les marcheurs soient animés par un feu sacré, ou attirés comme papillons vers la lumière, ou plus simplement mus par l’envie de marcher, d’avancer, voire de marquer le pas… Ma loi, dit-il, n’est donc ni une doctrine sur la marche, ni une opinion sur la marche, ni un système de penser la marche, encore moins une religion de la marche. Elle est un mode d’organisation de la mosaïque des marcheurs.

La façon de marcher est du domaine exclusif de l’appréciation individuelle de chacun ! et vous-mêmes, libres-marcheurs, ne rejetez-vous pas toute manière dogmatique de marcher ?

Moi, Fernand, je suis en quelque sorte l’agent de la circulation, celui qui veille au respect des règles de conduite des marcheurs, et qui les fait appliquer. Si vous avez bien compris ma loi, elle réunit tous les marcheurs, quels que soient leur pas et leurs chemins respectifs, et elle garantit leur liberté de marcher comme bon leur semble.

Je suis le Grand Régulateur de la marche. Je suis le grand arbitre de toutes les marches. Je ne peux donc donner mon nom à la vôtre, libres-marcheurs ! Il n’y a pas de marche Fernande ! »

Il n’y a pas de marche Loïc ! Il ne peut y avoir de spiritualité laïque.

Julio /  2012 (Observatoire de la Laïcité de Provence)