Salon du Livre

(6,5mn)
3 personnages : Critique littéraire, Pierre Blaque, Jacques Decker.

Un (ou une) interviewer critique littéraire, reçoit deux auteurs, Pierre Blaque et Jacques Decker.
CRITIQUE- Bonsoir, en ouverture du Salon du Livre maçonnique de (à adapter au lieu ou à l’évènement), je reçois deux écrivains connus pour leurs nombreux ouvrages symboliques sur les outils : Pierre Blaque et Jacques Décker.
Accueillons nos Frères Blaque et Décker.
(Ils entrent sous les applaudissements)
CRITIQUE- Mes Frères Jacques et Pierre, merci de nous avoir rejoints sur le plateau de (nom du lieu où l’on joue) pour nous parler de votre dernier ouvrage symbolique sur le maillet, outil maçonnique par excellence.
PIERRE BLAQUE- c’est pas un ouvrage symbolique, non, c’est un roman que nous avons écrit Jacques et moi.
CRITIQUE- Un roman ? Pourtant… le titre… « Prends mon maillet… »
JACQUES DECKER – « dans ta gueule ! »
CRITIQUE – c’est ça : « Prends mon maillet dans ta gueule ! »
JACQUES DECKER- oui, « dans ta gueule » sinon on comprend rien à l’intrigue.
CRITIQUE- l’intrigue… elle se noue au sein d’une loge et relate le parcours périlleux d’un Vénérable qui descend de charge ; c’est ça ?
PIERRE BLAQUE- oui, le parcours d’un Vénérable depuis le bas des marches de l’Orient jusqu’au fond du temple, là où se tient le Couvreur.
CRITIQUE- Vous ne citez pas la loge… pourquoi ?
PIERRE BLAQUE- Trop de maçons s’y reconnaîtraient, or il s’agit d’une fiction.
JACQUES DECKER- trop de ressemblance aurait nui à la vraisemblance…
CRITIQUE- Donc, le Vénérable descendant descend les marches de l’Orient, le maillet à la main… et c’est au moment précis où il pose le pied sur la 4ème marche…
JACQUES DECKER- Non la 3ème !
CRITIQUE- Vous avez écrit la 4ème …
JACQUES DECKER- c’est lui, le Véné descendant, dans sa tête qui en imagine une 4ème.
PIERRE BLAQUE- c’est pour ça qu’il trébuche, en faisant le pas de trop.
CRITIQUE- c’est alors que le vénérable montant le retient… le retient ou le pousse, on ne sait pas très bien… et il lui réclame le maillet… c’est ça ?
JACQUES DECKER- parfaitement.
CRITIQUE- je lis : « vous oubliez, mon frère, de me remettre votre maillet, dit le nouvel élu en s’adressant au malheureux que le Maître des cérémonies s’apprête à raccompagner près de la porte du temple ». Comme c’est gentiment dit…
PIERRE BLAQUE- c’est demandé gentiment, non ?
JACQUES DECKER- Mais non ! Il ne l’a pas demandé gentiment, tu le sais très bien ! C’est pour ça que je lui ai foutu le maillet dans la gueule !
CRITIQUE- Heu… de qui parlons-nous ? … du héros du roman ou de… de toi mon frère Jacques ?
JACQUES DECKER- de moi ! Sinon, pourquoi m’avoir invité, alors?
PIERRE BLAQUE- (à Jacques) T’énerve pas ! Je sais ce qui t’en a coûté d’écrire ces pages, et de revivre cette cruelle désillusion.
CRITIQUE- Revenons à votre personnage, le Vénérable descendant. Nous le voyons jeter le maillet à la tête de son successeur puis descendre les colonnes d’Orient en Occident ; il arrive à la porte. Et là…
PIERRE BLAQUE- elle est fermée.
CRITIQUE- c’est ce qu’il constate en effet, mais après tout, n’est-il pas logique que la porte soit fermée alors que la tenue se déroule normalement ?
JACQUES DECKER- Ah bon ? Pour toi, elle se déroule normalement la tenue ? Le véné montant prend le maillet du véné descendant dans la gueule, et tu trouves que ça se déroule normalement ?
CRITIQUE- évidemment non, mais dans le roman, au moment où le Véné descendant descend les 3 marches…
PIERRE BLAQUE- 4 marches !
CRITIQUE- si tu veux… au moment où il descend les marches de l’Orient, tout est encore normal, non ?
JACQUES DECKER- Tu l’as pas bien lu notre livre ? Rien n’est normal : L’élection du Véné montant n’est pas normale, sa candidature en chambre d’apprenti, le scrutin sans boule, les listes préétablies, la présence inattendue des maîtres non assidus, les quatre marches, rien n’est normal, rien !
CRITIQUE- D’accord, le Véné descendant aurait bien voulu rester Véné un an de plus, c’est courant cela… mais revenons à cette porte… sur trois pages, vous faites prononcer au Véné descendant ces paroles emblématiques : « elle est fermée, elle est fermée, elle est fermée… »
PIERRE BLAQUE- (il prend le bouquin des mains de l’interviewer) tu permets que je lise moi-même ces 3 pages admirables : « elle est fermée, elle est fermée, elle est fermée, elle est fermée, elle est fermée, elle est fermée… »
JACQUES DECKER- (l’interrompant) Ne dévoile pas tout… laisse la surprise au lecteur.
CRITIQUE- (reprenant le bouquin) on ressent parfaitement tout le tragique de la liturgie hiramique, le caractère profondément énigmatique du rituel de transmission initiatique, la connivence ésotérique des arcanes du temple… et cette porte dont l’hermétisme consume le lecteur dans l’angoisse morbide qui l’étreint alors.
PIERRE BLAQUE- Nous avons tenté par là d’exprimer le dilemme auquel ont été confrontés tous les passés-Vénérables…
JACQUES DECKER- le questionnement existentiel : moi, portier ! vais-je devenir le concierge de tous ces… ces…?
CRITIQUE- Après trois pages de réflexion et de balancement insoutenable : (il lit) « il prend enfin l’épée que lui tend le Couvreur… et se dit aussitôt à regret, qu’il aurait dû prendre la porte. » (Admiratif) Quelle belle écriture !
JACQUES DECKER- ce n’est pourtant pas facile à retranscrire quand on ne l’a pas vécu soi-même…
CRITIQUE- Heu… Je ne comprends pas… N’est-ce pas là votre propre vécu ?
JACQUES DECKER- Ah non ! Moi, la porte, je l’ai ouverte.
PIERRE BLAQUE- Et il s’est barré !
JACQUES DECKER- ce que n’a évidemment pas fait le personnage du roman… un faible !
CRITIQUE- Un faible ? Ne peut-on pas dire au contraire que votre héros, selon la tradition initiatique, s’est parfaitement résigné à passer des feux de la rampe à l’obscure poste de Couvreur… ?
JACQUES DECKER- qu’est-ce que tu en sais toi ? Tu as été Vénérable ?
CRITIQUE- heu… non. Mais j’imagine qu’il faut accepter de devenir Couvreur… c’est le sens de l’initiation…
JACQUES DECKER- Là, tu portes un jugement. Qui es-tu pour me juger ?
CRITIQUE- Mais… je ne te juges pas… et de qui parlons nous ? De toi, du héros de votre roman ? de qui ?
PIERRE BLAQUE- (interpellant un peu vigoureusement l’interviewer) Toi, tu préfères bien sûr un Vénérable qui descend de charge et qui reste au fond entre les colonnes à faire chier tout le monde… à reprendre le nouveau Véné, houspiller les surveillants, engueuler l’expert, réclamer le tronc de la Veuve… ? Qu’il se barre !
JACQUES DECKER- (à PIERRE BLAQUE) (soudain éclairé) C’est donc ça ? Que je me barre ? Tu craignais donc tellement que je t’emmerde comme Couvreur ?
PIERRE BLAQUE- pas seulement moi que tu emmerdes, mais toute la loge, comme tu n’as pas cessé de le faire toute cette année passée là-haut, à te prendre pour… Salomon !
JACQUES DECKER- (le ton monte) Salomon, tu sais ce qu’il te dit ?
PIERRE BLAQUE- je sais oui ! C’est pour ça que j’ai arrangé les élections, préparé les listes, rappeler les anciens… pour que tu te barres !
(Ils sont prêts à en venir aux mains, l’interviewer tente de les séparer) 
JACQUES DECKER- j’ai bien fait de te le mettre, ce maillet, dans la gueule !
PIERRE BLAQUE- tu m’as raté, connard !
JACQUES DECKER- parce que je croyais qu’on était des frères !
PIERRE BLAQUE- alors pourquoi tu t’es barré ?
JACQUES DECKER- parce que la porte, tu l’avais laissée grand ouverte, fumier !
CRITIQUE- (tentant de se faire entendre) Mais vous avez écrit : elle est fermée, elle est fermée… sur 3 pages, elle est fermée…
PIERRE BLAQUE & JACQUES DECKER – la ferme ! (ils sortent)
CRITIQUE – (Retrouvant ses esprits) ce roman de Blaque et Decker « Prends mon maillet dans ta gueule » est véritablement plein de surprises… il est publié aux éditions l’arnaquant ; à ne pas mettre évidemment entre les mains des nouveaux apprentis… ils pourraient prendre la fiction au premier degré. Demain nous recevrons le Très Souverain Commandeur Ecossais des loges du Haut Médoc « les Graves Supérieurs », pour son essai : « Chaos à Bordeaux ». Bonsoir.