Je les sens

(6mn)
3 personnages : Jules, Claudine et Jean.

Claudine et Jean font une partie d’échecs. Jules lit négligemment une revue, tout en suivant la partie de loin.

Jules – Vous avez lu cette magouille ? Nos grands chefs étoilés… ils seraient tous francs-maçons.

Claudine – Ah ! Ils sont partout.

Jean – Ben, c’est connu ! D’ailleurs ils ne s’en cachent pas, les Robuchon, Bocuse, Fréchon… et Raymond Oliver, celui qui faisait la bouffe à la télé avec Catherine Langeais… (vous êtes trop jeunes pour les avoir connus.) Et puis il y a Joséphine Baker.

Jules – elle en était ?

Jean– C’est ce qu’on dit.

Claudine – Mais quel rapport avec la bouffe, Joséphine Baker ?

Jean – son mari ! il a tenu un restaurant en Argentine. Il s’appelait Jo… Bouillon ! (Rires)

Mais tu parlais, Jules, de… magouille.

Jules – Oui !… Tu peux me dire qui c’est qui distribue les étoiles dans le Michelin ? hein ? … les Francs-macs !

Claudine – Ils sont partout, je vous dis. Ils infiltrent même la police.

Jean – Heu… Ce ne sont pas plutôt les RG qui les infiltrent ?

Jules – Tant mieux si on les surveille. La Franc-maçonnerie : un État dans l’État !

Claudine – En tous cas ils cachent bien leur jeu ! Tenez, à l’A.F.I.G. !

Jean – La Figue ?

Claudine : – non l’A.F.I.G., l’Association Française des Intolérants… au Gluten, mon assoce, eh ben, y’en a plein

Jean : (amusé) Comment tu le sais ?

Claudine – Comment je le sais ? Je les sens ! S’il y en a un, je le repère. Je les sens, je te dis !

Jean :  mais quel intérêt ont-ils à être dans l’Association Française des intolérants……au gluten ?

Jules –C’est vrai ça…. Y’a pas de fric dans ton assoce et ce n’est pas d’elle que va sortir un grand chef étoilé !

Claudine – C’est justement ça qui m’intrigue ! Qu’est-ce que des professionnels de l’entrisme font dans mon assoce ? ils n’ont rien à y gagner

Jean –(sarcastique) Un régime de faveur, peut-être, ou alors de la considération …

Jules – (moqueur) de la considération ? Tu ne connais pas mon beau-frère…

Claudine – Si, je le connais, moi, ton beau-frère. On a défilé ensemble le 1er mai.

Jules – Eh bien, il en est !

Claudine – Ton Beaufre ? qu’est-ce que tu me dis là ?… Je l’aurais pas senti ?

Jules – Mon Beaufre, une fois, il m’a invité à l’une de leurs rencontres… fraternelles, comme ils disent : un Festival d’humour maçonnique !

Claudine – Tu rigoles !

Jules – Tu peux le dire ! C’est rien que des rigolos ! Et toi Jean, qui parles de considération ; On voit que tu ne les connais pas. Comment des gens qui se prétendent des… initiés, peuvent rire de leurs propres turpitudes ?

Jean – Après tout, pourquoi les Francs-maçons ne cultiveraient-ils pas leur propre humour, comme les Toubibs, les Plombiers, les Corses… les Belges. Et l’humour juif, tiens ! c’est pas un bon exemple ?

Claudine – C’est ça ! le complot judéo-maçonnique !
Eh bien moi, je peux vous dire que j’y ai échappé à leur complot. J’ai été approchée un jour par une nana de ma boite qui voulait me faire entrer chez eux. D’abord j’ai marché, pour voir. Ils ont enquêté sur ma famille, mon boulot, mon appartenance syndicale… si j’allais à la messe le dimanche… Ils sont forts mais je n’ai rien lâché. Ils m’ont même interrogée dans leur loge. Les yeux bandés pour pas que je les reconnaisse ! Et je ne vous parle pas des questions à la con qu’ils m’ont posées. Je me souviens d’une : « Madame, est-ce que vous pensez avoir le sens de l’humour ? » Poser cette question à la Présidente des Intolérants…au gluten ! Du coup, je n’ai pas marché dans leur combine.
(Dépitée) D’ailleurs, ils ne m’ont jamais rappelée

Jean – tu ne m’en avais jamais parlé, de cette étrange expérience…

Claudine – tu sais, ce sont des choses qu’on tient plutôt secret. Et puis c’est trop loin de tes petites préoccupations matérielles… (ironique) à la FIDE !

Jules – encore l’AFIG ?

Claudine : – non, la FIDE, la Fédération Internationale des Échecs…Môssieur ici-présent est Maître !…

Jules : (moqueur) Maître !

Jean – (pour revenir au sujet) et toi Jules, ton Beaufre ne te l’a jamais proposé, lui ?

Jules – à moi, non. Mais il a réussi à embobiner ma sœur. Il l’a fait rentrer ! Si tu les avais vu se marrer tous les deux à leur spectacle d’humour maçonnique ! En plus, c’est même pas drôle !

Jean – Mais tu as accepté de les y accompagner.

Jules – c’était pour voir si j’en connaissais… ça peut toujours servir. Mais tu penses bien que les gros bonnets, les Grands Maîtres et tout ça, ils ne viennent pas à ce genre de pitreries. Ils trafiquent dans l’ombre, eux !

Jean – Peut-être qu’ils n’ont pas le sens de l’humour…

Jules – Mais ils se respectent, eux, au moins.

Jean – ta sœur et ton beau-frère ne sont pas respectables ?

Jules – c’est pas ce que je veux dire. Mais ce sont des tout petits. En fait, ils servent de caution et d’alibi aux Mamamouchis qui tirent les ficelles.

Claudine – D’ailleurs, les petits, en bas, ils ne les connaissent même pas ceux qui tirent les ficelles, là-haut !

Jean – et tu le sais, toi ?

Claudine – Ah ! Si je te disais… Si, comme moi, tu les connaissais !

Jean – Comment on fait pour les connaître ?

Jules – Si tu veux, je te présente à mon Beaufre. Il pourra t’emmener voir leurs bouffons. Tu les verras, les maçons, comme ils rient de leurs conneries.

Jean – Mais tu dis qu’elles ne sont pas drôles…

Jules – En tous cas, moi ça ne me fait pas rire.

Jean – Merci de m’en aviser… Tu sais, on écrit des trucs, on croit être drôle et puis…

Il va vraiment falloir qu’on travaille.

Jules – qu’on travaille ?

Claudine – qu’on travaille à quoi ? ?

Jean – (un temps) Non ! c’est nous… faut qu’on travaille à mieux écrire nos sketchs…

Les deux le regardent sans comprendre.

Jean – (se frappant sur le nez par trois fois) Tu ne sens rien Claudine ?

Claudine – non, j’sens rien.  Ça sent quoi ?

Jean (bouge sa dernière pièce et se lève) Le franc-mac ! Échec et mat, ma grande… J’en suis !