Comment sommes-nous réellement passer d’une maçonnerie opérative à une maçonnerie spéculative ?
Voici un document qui semble contredire Daniel Ligou, Bayard et tant d’autres qui ont spéculé sur la question :
Première Constitution d’Anderson
Extrait du rapport de police dressé à l’auberge « l’Oie et le Gril », à Londres, le 1er mars 1722.
En ce jour sont réunis, à l’auberge l’Oie et le Grill, cinq personnages de nous connus. Le Servant qui semble également bien les connaître leur donne une curieuse accolade. Ils disent attendre encore deux de leurs frères. Combien serez-vous ? leur demande le Servant.
Eliott : Sept !… Tiens, voilà justement Jacob.
Le dénommé Jacob Lamball apparait qui les rejoint à table.
Eliott : Et on attend. Qui ça ? toujours le même ! James… jamais à l’heure celui-là !
Le dénommé James Anderson entre en toute hâte.
Lamball : Anderson, on a failli attendre !
Anderson : on avait bien dit midi ?
Lamball : Ouais ! facile ! chaque fois tu fais le coup !
Tous se mettent à chanter sur l’air de Minuit chrétien :
– Midi païen, c’est l’heure rituelle…
Et tous de rire !
Le Servant sert la bière, on discute…
Wharton : ils nous emmerdent ces opératifs !
Payne : t’as raison Wharton, on n’a plus trois ans, merde !
Anderson : D’accord, je ne dis pas ! Mais on est tout de même bien accepté par les Anciens, non ?
Desaguliers : Pour nos capitations, oui !… Entendez-les : Des capitations ! Des capitations !
Montagu : Oh, toi Désaguliers, l’immigré, réfléchis un peu à ce que tu dis : décapitation, décapitation… avec ce qui se passe dans ton pays de merde, ça ne va pas tarder, les décapitations !
(* Desaguliers est fils d’un pasteur protestant exilé en Angleterre depuis la révocation de l’Édit de Nantes. C’est de lui, dit-on, que vint l’idée du signe d’apprenti.)
Desaguliers : Montagu, ne me prends pas la tête ! C’est vrai que mon père a dû quitter la France à la révocation de l’Édit de Nantes, mais moi, je suis British, comme toi !
Wharton se met à chanter
Wharton : « de Nantes à Montagu, la digue la digue… » ce qui déclenche la furie de Montagu
C’est lui qui me l’a apprise. Dit-il en désignant Desaguliers pour se disculper.
Anderson : du calme mes Frères. Les temps sont durs. Beaucoup de nos jeunes maçons sont au chômage. Plus de chantier. Les cathédrales sont terminées, Londres est reconstruit. Ya plus de boulot pour les Compagnons. Alors c’est normal que les Opératifs aient besoin de nous pour repeupler leurs colonnes.
Wharton : toi, le chapelain, tu es trop bon ! C’est pour remplir leur caisse, oui !
Desaguliers : Moi, c’est décidé, je ne crache plus dans le tronc des Anciens !
Montagu : Font chier, les opératifs !
Silence, agitations diverses.
Lamball : J’ai une idée !
Wharton : toi ? une idée !
Tous rient
Lamball : Et si on constituait une nouvelle maçonnerie… la maçonnerie des Modernes ?
Payne : Putain, Lamball, t’es dingue !
Anderson : c’est vraiment une idée à la con !
Wharton : de la pure spéculation. Ça n’intéressera personne.
Desaguliers : y’en a pas assez comme ça, des maçonneries ?
Montagu : tu ne parles pas sérieusement ?
Lamball : Bien sûr que non ! Vous ne m’avez pas compris les frangins ! Je vous propose de monter un canular !
Tous : un canular ?
Lamball : oui, un canular ! Un gros gag ! Énorme. Un monument comme les maçons n’en ont encore jamais construit.
Eliott : Ouais ! On s’y met !… Mais il nous faut d’abord écrire une Constitution.
Payne : Anderson, toi qui sais écrire, tu ne pourrais pas… ?
Anderson – mais je ne suis qu’un chapelain.
Wharton : justement, les conneries, tu connais ! D’ailleurs t’arrêtes pas de dégoiser sur Rome et le pape… tu vas pouvoir lui enfoncer la mitre.
Anderson : comment ça ?
Desaguliers : Wharton a raison : on va commencer par virer le pape de notre constitution !
Montagu : ôtons le pape ! Le Pape, ôtons !
Tous : ! Pap’ ôtons ! Pap’ ôtons !
Ils sont fous ces maçons !
Lamball : Assez papoté ! Écrivons !
Eliott : Moi je propose d’abord qu’on y refuse les « stupid atheist ».
Anderson : Dis-moi Eliott, comment je le traduis « stupid atheist » ?… Tu parles des seuls athées stupides, ou de tous les athées qui, parce qu’ils sont athées, sont forcément stupides ?
Eliott : On s’en fout ! Ça va empoisonner les traducteurs. On n’aura pas fini de se marrer !
Payne : tu vas voir, ça va spéculer là-dessus pendant des siècles et des siècles ! James, tu appelleras ça la maçonnerie spéculative !…
Anderson : j’peux pas faire ça !
Payne : Ah ! ta gueule ! Fais ce qu’on te dit ! et tu rajoutes une pincée de théosophie, un souffle d’hermétisme, une poignée d’occultisme et trois grains d’alchimie.
Anderson : et pourquoi pas de l’humour aussi ! non ?
Wharton : Oh Yes ! de l’humour… avec quelques pétales de fleur d’acacia. Ça va faire une de ces sauces…
Wharton : Autre proposition : si on inventait le grade de maître !?
Desaguliers : Ah ouais ! Des maîtres avec des cordons dorés, plein de bijoux, tout bariolés.
Montagu : Bon, d’accord… mais qui va se faire maître ?
Lamball : T’inquiète pas. Quand ils vont les voir les cordons, ils voudront tous se faire maîtres.
Eliott : Et on décide que le maître de loge montera à l’Orient pour 3 ans. D’accord ?
Anderson : 3 ans, c’est trop long !
Payne : Trop long ? Vous verrez ; il y en a qui vont trouver que c’est trop court !
Wharton : et quand il redescend de là-haut, on le fait gardien du Temple, près de la porte !
Desaguliers : Oh ! Ce n’est pas sympa !
Montagu : justement, comme ça il pourra faire chier celui qui le remplace à l’Orient. Il l’aura juste en face. C’est marrant, non ?
Lamball : et si on s’inventait aussi un dieu, une sorte de dieu en qui chacun se retrouverait.
Eliott : ou se perdrait, tu veux dire.
Payne : comment on l’appelle ?
Wharton : moi je sais : GADLU !
Tous : GADLU ?
Wharton : GADLU : Grand Arnaqueur Devant L’Univers.
Tous : Ouah !
Anderson : GADLU ? pour un dieu c’est nul !
Desaguliers : Mais ce n’est pas un vrai dieu ! Qu’il est bête !… Ce sera un dieu pour les Nuls !
Montagu : Qui va y croire ?
Lamball : Qui va vénérer ça ?
Eliott : Qui ne va pas voir que c’est une arnaque ?
Anderson : Personne ne va quand même idolâtrer ça… !
Payne : Eh bien moi je vous dis que si. Et même qu’un jour, y’en a qui vont tellement y croire que je vous paris qu’ils vont finir par le déboulonner, le rayer de la constitution et des rituels, comme si c’était un vrai dieu.
Wharton : Les cons !
Desaguliers : Tu rigoles !
Anderson : Arrêtez ! On va passer pour des hérétiques.
Montagu : Ils ne vont quand même pas prendre le GADLU au sérieux, non ?
Lamball : Pourquoi non ? Ils ne verront même pas que c’est une farce… parce que l’humour, mes frères, ce n’est pas ce qu’il y a de mieux partagé ici.
Eliott : Tu parles d’humour… vous avez pensé aux femmes ?
Anderson : Ah non, pas les femmes !
Payne : Écoute Eliott, cette constitution a pour vocation d’être comprise par qui a le sens de l’humour !… Et toi, tu nous parles des femmes ! Tu veux tout faire foirer ?
Eliott : n’empêche que…
Wharton : n’empêche que rien ! Pas de femmes dans notre Constitution !
Montagu : On a dit qu’on créait une nouvelle maçonnerie, et que c’était pour rigoler ! Tu veux rigoler toi, avec des femmes ?
Tous rient.
Eliott – C’est ça, rigolez ! N’empêche que demain vous rigolerez moins quand elles vont y entrer, les femmes, dans votre maçonnerie. (Rumeurs) Bien sûr qu’elles vont finir par y entrer ! je vous le dis ! Même que vous les appellerez « vos sœurs » … Et ce jour-là, ça va vous foutre un bordel… mais un bordel !
Payne – Dommage, on sera plus là pour rigoler !
Anderson – De toutes façons, ça ne marchera jamais votre connerie.
Payne – C’est sûr que si les femmes s’en mêlent, ça va foirer !
Montagu – Bon, James ! tu as bien tout noté ?
Anderson – Je relis ?
Desaguliers – Pas la peine, puisque c’est toi qui signes !
Anderson – Ah non ! vous n’allez pas me faire le coup ! je n’y suis pour rien moi dans cette Constitution.
Payne – ta gueule ! tu signes : Anderson !… Ça ne te fait pas plaisir ?
Le dénommé Anderson se lève furieux, tente de s’enfuir, on le retient.
Montagu – Eh ! Frère Servant ! 7 pintes ! Mort subite pour tous ! Et tu peux faire partir les oies sur le grill !
Tous se mettent alors à chanter sur l’air du “31 du mois d’août”, sauf Anderson qui manifeste sa mauvaise humeur.
Buvons un coup, buvons-en deux
À la santé des Loges bleues
À la santé des Sœurs, des Frères
Et merde pour les Loges d’Angleterre
Qui se prétendent régulières