Le con

Essai de Julio- Hialarion – 2024

« Je sais de quoi je parle, j’en suis un ! »
J’aime cette pirouette empruntée à Yvan Audouard dans sa « lettre ouverte aux cons » : « je sais de quoi je parle, j’en suis un”. Inconsciemment, il confirme en fait ce à quoi il tente d’échapper puisque, nous allons le voir, la certitude est l’un des principaux marqueurs auxquels se reconnait le con.
Cet essai comprend 4 parties :
1- L’origine du con.
2- La symbolique que le con véhicule.
3- Le con dans la langue… entendez par là, dans la littérature.
4- Et enfin une tentative de définition du con et de la connerie.

1- L’origine du mot.
Si l’origine du mot « con » est con-testée, la plus con-venue renvoie au latin « cunnus » : l’origine du monde, fruit d’amour et de douceur comme l’a si admirablement peint Gustave Courbet. Vous le saviez ! si on vous avait posé la question, vous n’auriez pas donné votre langue… au chat.
Ainsi, le mot con puise ses racines aux sources de l’Humanité.
Au départ donc, rien de vulgaire, pas plus que le mot « sexe » au temps où le genre masculin/féminin avait encore un sens.         Con avait donc un sens unique, à l’instar de son homologue masculin, le « vit », que la nature, qui est bien faite, les con-vit à se rencontrer.
(C’est dans ces rencontres-ci qu’il est important de ne pas dé-conner… en se retirant trop vite.)
On attribue également le mot con à « conil » : lapin en vieux français, qui désignait pudiquement le sexe des dames, sans avoir à le nommer. C’est ce petit animal qui, peu à peu, aurait légué au con sa fâcheuse réputation de niaiserie, de lâcheté, de manque de cervelle, conférant au mot, dès le 19ème siècle, son sens injurieux. Son emploie devient alors misogyne, autorisant l’homme à exprimer son mépris pour tout ce qui participe de la faiblesse et de la passivité attribuées à la femme. Michelet, s’indignant qu’on ait fait du mot con une injure, un terme bas, rappelait que : « le con est non seulement le propagateur de la nature, mais le con-ciliateur, le vrai fond de la vie sociale pour l’homme ».

2- La symbolique du mot
Le con est là, il nous parle, depuis des millénaires.
Au début de notre ère, ne parlons pas de l’ère vulgaire -même si le sujet en a l’air- mais d’il y a 5000 ans. En Haute-Égypte, existait une terre appelée « terre de Khons » (orthographié K H O N). Quel était ce Khon ? on pense qu’il s’agissait du Dieu-serpent du Panthéon égyptien, représentation du mort avant son jugement devant le Tribunal d’Osiris, un mort-vivant en quelque sorte non parvenu à la condition divine, qui piétinait dans le Purgatoire. Une autre divinité égyptienne, lunaire celle-ci, se nommait Konsou … Khon… comme la lune !
Au cœur de la forêt équatoriale, à la frontière du Gabon et du Cameroun, les Fangs, peuple bantou, prétendent que le Kon a toujours existé et redoutent de le voir venir de là-bas, de l’autre côté. Mort et vivant à la fois, le Kon est mauvais. Est-ce le Diable ? à quoi le reconnait-on ? on ne le reconnait pas, on le sent : on sait que c’est un Kon. S’il est mort et qu’il est encore là, c’est qu’il est kon : c’est évident !
Depuis la nuit des temps, le « con » a donc un rapport avec l’au-delà, le surnaturel, la mort, l’inconnu, la menace, l’angoisse.
Mais quel rapport avec notre « con » à nous ? Eh bien, intervertissons les consonnes de ce mot millénaire. C’est ce qu’on appelle une métathèse. KN devient NK, dont le phonème signifie copuler en ancien Égyptien, ni-quer en Français moderne.
Nos apprentis ont-ils déjà joué à cette métathèse avec leur mot de passe, en attendant d’en faire de même au grade de compagnon ?
Chez les Bantous, copuler se dit NoK. Et dans la vallée du Nil, chez les Nouers du Soudan, NaK veut dire aimer. On en revient fatalement au sexe… au mystère de la vie et de la mort. Rien d’étonnant que le con devienne objet de religion, en transcendant ce qui échappe à l’homme.
Ainsi l’humanité, dans son impossibilité d’accéder au « con », au Grand Œuvre, au Grand Architecte de l’Univers, aurait désigné le sexe de la femme pour y focaliser ses impuissances, ses limites, ses frustrations, ses peurs, ses angoisses. C’est d’ailleurs bien ainsi que nous l’imposent depuis la nuit des temps les religions : « tu ne jouiras point » !
Je con-viens -et j’y retournerai- que sur ces chemins ne me suivraient moults chercheurs et scientifiques… Mais notre maçonnerie, qui porte si bien sa cédille, ne nous autorise-t-elle pas à nous aventurer dans les chemins du merveilleux et de la poésie ? un peu comme des Aventuriers de l’Arche perdue…
La poésie, nous y arrivons. C’est la troisième partie.

3- Le con dans la langue
Notre langue française serait celle qui, de toutes les langues, comprend le plus grand nombre de mots pour désigner le con et la connerie. Nous sommes sans con-texte, de tous les peuples, les mieux équipés, comme si nous étions… les plus… con-cernés. C’est vrai que nous sommes bien entourés ! Nous avons -parait-il- 45 mots qui apportent chacun leur nuance en fonction du contexte, du lieu, et de ce que l’on veut reprocher : par exemple débile a un aspect clinique ; bête nous ramène à notre animalité ; stupide est presque affectueux ; crétin a quelque chose d’alpestre. Sans parler des qualificatifs qui donnent au mot une couleur particulière : du petit con, bienveillant, paternel, en passant par le gros con, qui flamboie de mille feux, jusqu’au sale con : gros con en plus subtil et plus intelligent, manipulateur, vicieux… mais aussi plus facile à démasquer.
Comment notre littérature, si riche, ne se serait-elle pas emparée de la connerie ? Qui a lu le « Bouvard et Pécuchet » de Flaubert a acquis quelques utiles notions en la matière.
Brassens, qui en connait un bout sur le sujet, s’indigne :
« La malepeste soit de cette homonymie
C’est injuste madame et c’est désobligeant
Que ce morceau de roi de votre anatomie
Porte le même nom qu’une foule de gens. »
De grands auteurs ont utilisé le mot « con » ou s’en sont inspiré : Stendhal, Sade, Mérimée… Goncourt, qui décrit ainsi des émeutières :
Ces mégères révolutionnaires, qui pissent à con béant sur les cadavres des gens qu’elles ont égorgés”.
Plus près de nous : Pierre Mac Orlan, Henry Miller, Anaïs Nin…
Les poètes n’ont eu de cesse -aujourd’hui encore- de réhabiliter le con banni des écrits publics pour sa vulgarité associée au vagin. Ils en ont encouru d’incessantes censures.
Je ne crains pas celle de mes lecteurs FF. : et SS. : cependant je ne réciterai pas le « con large comme un estuaire » que peint avec ses mots Apollinaire. Je ne vous chanterai pas celui d’Alice dont Pierre Perret, au lieu d’une insulte, fait du joli mot con un culte …
Et comment ne pas adorer le « Con d’Irène » qu’Aragon a dû publier clandestinement en 1928 sous un pseudonyme curieux : Albert de Roustisie… Réédité clandestinement en 1952 puis en 1962, republié par Régine Desforges en 1968, et à nouveau saisi. Ode passionnée au sexe de la femme, il est devenu un classique de la littérature érotique :
Ô fente, fente humide et douce, cher abîme vertigineux
Alors que les poètes -que nous sommes un peu nous maçons- faisant fi des censeurs, font du mot « con » une ode, l’usage commun persiste à faire peser sur lui suspicion et déshonneur et provoquer indignation ou ricanement. Ayant pratiquement perdu toute connotation sexuelle il n’est plus qu’une insulte dépouillée de son caractère misogyne. Néanmoins, avec la montée du wokisme, quelques féministes qui se prétendent « éveillées » considèrent que l’usage du mot « con » par les hommes n’a d’autre but que d’insulter le sexe des femmes, et proposent des alternatives égalitaires telles que : quelle couille ce mec ! il ne dit que des biteries ! c’est un vrai couillard !
Alors que le wokisme et le féminisme qui lui colle à la culotte, tendent à bannir tout mot ou expression suggérant l’asservissement, la passivité, l’infériorité de la femme -exemple la suppression de « mademoiselle » dans les textes administratifs, au profit de « madame », plus émancipateur- on a vu à la télé une militante féministe traiter récemment un mec macho de con. Ne rendait-elle pas ainsi son propre sexe responsable de la bêtise du mec ? Pour une militante acharnée de la cause des femmes, il aurait été plus convenable de traiter l’autre de couillon !
Ça montre au moins que l’usage du mot a perdu son caractère sexuel au profit d’un sens plus universel que nous allons essayer de définir.

4- Vers une définition du con et de la connerie
D’abord, peut-on imaginer que la connerie ne soit pas universelle ?
En fait, les cons, c’est un peu comme les francs-maçons : ils sont partout !
Pour nous reconnaître nous avons, nous, des mots et attouchements discrets… Mais comment est-ce qu’on reconnait un con?
On remarquera qu’au lieu de dire « qu’on reconnait », il aurait été plus élégant phonétiquement de dire « que l’on reconnait”. Or, que désigne le « L » apostrophe ? : L’Homme !
Que l’homme… queue l’homme… De « qu’on » ou de « queue l’on » : quel est le moins con ? C’est selon. Selon qu’on, selon que l’on…
Sait-on qu’en Italien c’est le sexe masculin « cazzo » (bite) qui constitue l’insulte la plus usitée ?
Revenons à ce qui nous questionne : qu’est-ce que la connerie ?
Ne serait-ce pas tout simplement le contraire de l’intelligence ? Intelligent ne signifie pas forcément instruit, cultivé. L’intelligent, (dont les racines latines du mot sont « inter ligéré ») sait relier les choses entre elles. Le con, lui, ne voit pas le rapport.
Et l’on peut être érudit, bourré de connaissances, et manquer d’intelligence !
L’intelligent sait mettre en harmonie son comportement avec ses objectifs… même s’ils ne sont pas louables. Un filou est loin d’être un con.
L’inintelligent, lui, néglige ostensiblement les informations et les données qui pourraient l’éclairer ; il risque fort alors d’agir sans discernement, souvent d’ailleurs contre son propre intérêt… comme un con, quoi !
On peut faire des conneries toute sa vie sans être forcément con ! on peut se tromper. La connerie n’est pas l’erreur, mais l’erreur qui persévère. Faire toujours la même connerie, c’est ça être vraiment con !
On peut aussi jouer au con, sans l’être véritablement, puisqu’on sait qu’on joue. Les cons, ça ne joue pas, ça « est » ! si les cons savaient jouer, l’ambiance générale serait plus agréable. C’est peut-être la seule chose qu’ils n’osent pas, les cons -n’en déplaise à Audiard- c’est jouer !
Il arrive cependant parfois qu’à jouer au con, on puisse être pris soi-même pour un con par ceux qui ne cherchent pas à faire la différence entre un vrai con et un con de passage. Pourtant au passage « à niveau », ne sommes-nous pas tous égaux, les cons et soi-même ? et ce n’est pas la mise « à l’équerre » qui va permettre de lever les doutes : un con droit dans ses bottes peut en effet faire illusion… pas longtemps, certes… quoique le temps ne fasse rien à l’affaire !
Selon un avis presque général, il existerait 5 marqueurs de la connerie :
– l’inconséquence : c’est ne pas mesurer l’inadéquation entre ses objectifs et ses actes.
– l’auto définition : c’est n’affirmer qu’en fonction de définitions recueillies chez les autres, les dictons, les paroles d’Évangile…
– le suivisme langagier : c’est user de formules bateau qui donnent un ersatz de vernis de culture.
– l’absence d’empathie : c’est l’absence d’écoute, c’est l’intolérance, qui rendent sourd aux arguments qui pourraient nous sortir de notre connerie.
– et sans doute le critère le plus décisif : l’absence de doute. Le con ne doute de rien !
L’inconséquence, l’autodéfinition, le suivisme langagier, l’absence d’empathie, l’absence de doute… Ne retrouve-t-on pas là la plupart des insuffisances et des imperfections dont la maçonnerie, le travail en loge, tendent de nous dépouiller ?

Le sujet est si vaste que nous n’avons fait que le contourner, l’effleurer… Mais on peut encore en discuter, surtout si ça permet à chacun de progresser, car, heureusement, il n’y a pas de connerie indécrottable. On peut toujours s’améliorer avec du temps et de la gentillesse.
Et l’on pense, en sa bonne conscience – c’est très rassurant la bonne conscience ! – si l’on pense que l’auteur de cet essai est con, ne pas le lui dire. Le con, ancré dans ses certitudes, veut ignorer qu’il est con. C’est pour ça que ça ne sert à rien de le lui dire, puisqu’il ne veut ni ne peut l’entendre.
Mais n’avons-nous pas tous une même certitude ? Tant pis pour nous ! : celle de n’être que poussière dans l’infini du temps et de l’espace.