Chui Vénèr !

(durée 5,5 mn)
Texte d’Henry.
2 personnages: Momo et Léon (Frère Servant)

Léon :
Ma foi sur l’avenir bien fou qui se fiera :
Tel qui rit vendredi dimanche pleurera.
Des Frères et des Sœurs m’ont dit mon cher Léon
Chez toi nous bâtirons le Temple de Salomon.
Ton local est propice aux travaux, aux agapes ;
Fais-en pour les maçons comme un gîte d’étape :
Le soir une salle humide, un Temple maçonnique,
Et le jour accueillant commerces et boutiques.
Le jour je suis gérant, le soir Frère Servant
Voilà, je vous le dis, qui est fort éprouvant ;
J’arrive avant midi, je pars après minuit.
Il me fallait de l’aide, ou sinon j’étais cuit !
Une jeune profane, c’est vrai un peu bébête,
Vient m’aider pour pas cher. Elle s’appelle Mariette.
Tu vas voir que ces Frères et ces Sœurs Haut-gradés
Vont lui donner l’idée de se faire initier.
Enfin ! Nous verrons bien.

Momo frappe en profane à la porte de la salle humide. Léon entrouvre la porte et voit Momo qu’il ne connaît pas.

Léon : Tu as les mots ?
Momo : Oui, ch’ui Momo.
Léon : D’accord, salut Momo. Quelle est ta Loge ?
Momo : Je loge à Félix Piat. Pourquoi ?
Léon : Félix Piat ? C’était un maçon ?
Momo : J’en sais rien, moi. Je connais pas son boulot à Félix Piat.
Léon : Mais c’est à quel Orient ?
Momo (se tournant vers le public) : Pourquoi il me parle d’Orient ? Ch’ui pas Beur. Il me traite ce boloss ! (à Léon) : Ch’ui Vener !
Léon : Ah, t’es Véné. Il fallait le dire de suite. Bienvenu mon Frère.
(il s’approche pour embrasser Momo qui a un mouvement de recul)
Momo : Ô cousin, d’où je te connais ?
Léon : Ben, on travaille aux mêmes heures, de midi à minuit.
Momo : de midi à minuit ? Tu te fais niquer, cousin. Moi c’est fini-parti.
Léon : Fini-parti ? C’est à quel rite ?
Momo (rigolard) : au Marseillais.
Léon : Le rite Marseillais ? C’est à “Saint Jean du désert” ?
Momo : d’abord l’Orient, maintenant le désert ; tu me cherches ou quoi ?
Léon : Cherche et tu trouveras.
Momo : Continue comme ça et tu vas me trouver, toi ! Ch’ui Vener je t’ai dit.
Léon : Oui, j’ai compris, tu ne sais ni lire ni écrire.
Momo : Mais comment tu me parles, bouffon. Ch’ui été jusqu’en troisième, qu’est-ce que vous croivez.
Léon : Au troisième ? Tu connais donc Salomon et Hiram.
Momo : Ah ouais, Salomon, le fils de David, l’épicier de la cité. Quel gogol çui-là. T’as raison : Salomon, pour ramer, y rame. Il a pas la lumière à tous les étages.
Léon (ironique) : Pourtant, aux étages supérieurs, il y en a des allumés !
Momo : T’as raison ! Dans ma tour, ceux du 18ème, ils sont complètement allumés. C’est à cause du Crack.
Léon : Le Crac, Chevalier Rase Croix. Je vois que tu as des degrés.
Momo : Ben non. J’ai encore rien bu ce matin. Au fait, je t’apporte le JB.
Léon : Les colonnes ?
Momo : Qué colonnes. Non, le JB, l’écossais.
Léon : J’y comprends plus rien. Tu m’as dit que tu étais au Marseillais et maintenant tu me parles d’écossais ?
Momo : Ô mais t’es vraiment relou. Le Marseillais c’est 51, et JB c’est de l’écossais.
Léon : 51 degrés au Marseillais ? Putain, ça vous en fait des outils !
Momo : ah ouais, des outils j’en ai plein l’atelier. Mais là, pour les livraisons, je suis juste avec la camionnette. J’ai pas pris les outils. Qu’est-ce que tu veux que j’en fasse pour livrer trois cartons de whisky ?
Léon : Livrer trois cartons de whisky ?
Momo : Ben ouais. Ô cousin, ça fait dix minutes que je te le dis : je livre le JB.
Léon (qui vient de comprendre) : Ah, j’y suis. Tu es le livreur de boissons. (s’approchant l’air mystérieux) Excuse-moi, j’ai cru que tu en étais.
Momo : Ô cousin, tu me parles meilleur. Attention ! Ch’ui pas un bouffon.
Léon : Non, non. T’énerve pas. C’est un quiproquo.
Momo : Quel proc ? Oh ! Tu veux me balancer aux keufs ?
Léon : Non, non. Pas quel proc ! Quiproquo : ça veut dire malentendu.
Momo (énervé) : Non, j’ai pas mal entendu. Tu me traites depuis le début. T’es pas franc, mec.
Léon : Comment t’as deviné ? Eh bien oui, je suis Franc-mac.
Momo (dubitatif) : Mouais, mouais. Les macs, c’est jamais très franc. Et je veux pas d’embrouille avec les meufs. Tu me saoules. Prends tes cartons et c’est bon.
Léon : Attends ! Pars pas tout de suite, j’ai un service à te demander.
Momo : Si c’est pour de la beuh, j’en ai pas sur moi.
Léon : Non, pas un gros labeur, juste m’aider à installer la salle. T’es calmé maintenant ? T’es plus énervé ? T’es plus Vener?