Nos colonnes se vident

(3,5 mn)
2 personnages : Elle et Lui
Lui : vieux maçon de la loge. Elle : son “assistante”
Ils s’adressent au public.

Elle : Merci d’avoir répondu aussi nombreux à notre appel. Comme nous l’indiquons dans le prospectus… Euh… dans la planche d’invitation, nous allons vous présenter notre loge : la Triple Union…
Lui : la Triple Union : Vous, elle… moi !
Elle : Notre loge, je disais, a besoin de vous. Nos colonnes se vident… une apprentie, peu de compagnons, et les maîtres… hélas… C’est pourquoi nous souhaitons remplir nos colonnes. Les remplir…
Lui : (s’adressant à un spectateur) Non ! Mais qu’est-ce qu’il me fait lui ? Pas pour se remplir ! La bouffe, c’est après ! Ecoutez nous d’abord !
Elle : S’il te plaît ! Mon frère, ne t’emporte pas, maîtrise toi… on n’est pas en tenue !
Lui : (en colère) je savais qu’ils ne viendraient que pour se remplir l’estomac ! Fallait pas faire d’apéro ! Je te l’avais dit ! En plus, le tronc est vide… Si tu crois que c’est moi qui vais régler le traiteur !
Elle : T’énerve pas mon chou… Euh… mon frère ! Nous ferons une quête. (Elle s’adresse à nouveau au public) nous souhaitons donc remplir le tronc… euh… nos colonnes, de bons maçons et de bonnes maçonnes, comme vous… Pour cela nous avons besoin de Maîtres, un Vénérable, des Surveillants, un bon Trésorier… tout un collège quoi !
Lui : Tous les plateaux sont à pourvoir. Les premiers affiliés seront évidemment les premiers servis…
Elle : Servis… vous le serez comme sur un plateau !
Lui : D’ailleurs j’ai tout préparé, j’ai tout prévu : les rituels, l’ouverture, la fermeture, les décors, les enquêtes, les tracés, les scrutins, les discours… tout !
Elle : (doucement, comme une hôtesse d’accueil) Oui, nous avons tout prévu pour vous rendre le séjour sur nos colonnes agréable. (Langoureusement) Nous vous promènerons… Sous le pavé vous découvrirez la plage…
Lui : Tout prévu ! Vous n’aurez pas à vous casser la tête. Ça fait trente ans que nous menons cet atelier, et personne ne s’en plaint.
Elle : (gênée) (en aparté ) ils ne sont plus là pour s’en plaindre…
Lui : (surprenant son aparté, agacé) et toi, de quoi tu te plains ?
Elle : rien, rien… tu sais bien que je ne fais pas un pas sans toi.
Lui : (énergique) On l’a voulu cet atelier, on va le faire marcher ! On va pas laisser tomber parce que quelques tordus… qui comprenaient rien aux symboles…
Elle : à la Triple Union, tout est symbole… le Véné ? Symbolique ! Les officiers ? Symboliques !
Lui : La Liberté, L’Égalité, Symboliques ! La Fraternité, Symbolique ! Tout ici n’est que symbolique !
Elle : Même les planches sont symboliques.
Lui : Oui, nous n’allons pas vous obliger à plancher sur des thèmes mille fois rabâchés. Nous relirons donc les planches que j’ai écrites pendant toutes ces années passées à initier des maîtres.
Elle : des Maîtres libres dans une loge libre !
(Tous deux se prennent par la main)
Lui : Ô ma sœur !
Elle : Ô mon frère !
(Se ressaisissant, s’adressant au public)
Mais peut-être avez-vous des questions à nous poser…
Lui : (énervé) Ah non ! Pas encore des questions ! Est-ce que j’en pose, moi, des questions ?
Elle : on pourrait connaître leur avis…
Lui : c’est pas le moment !
Elle : (feint de ne pas avoir entendu) (souriante) Qui demande la parole ?
Lui : Ils la demanderont, la parole, quand je la donnerai !
Elle : (un temps) (se rebiffant) Eh bien moi je la demande la parole ! J’ai envie de la prendre, la parole !
Lui : (surpris) Toi ?
Elle : Oui, moi…
Lui : Mais… tu ne l’as jamais prise, la parole… qui te l’aurait donnée ?
Elle : ça fait trop longtemps que ça dure…
Lui : (décontenancé) de quoi tu parles ? Qu’est-ce que tu veux dire ?
Elle : (Elle fond en larme) je ne veux plus être une apprentie soumise.
Lui : Enfin ! Qu’est-ce qui te prend ?
Elle : (résolue) je veux être Maître… comme toi !
Lui : (éberlué) Tu le seras quand… quand…
Elle : Ouh… Ouh… (En sanglots, de plus en plus fort)
Lui : (S’en prenant au public)
Voilà, avec vos questions ! Voyez dans quel état vous l’avez mise !
(Il tente de l’attraper pour la presser contre son cœur mais elle s’esquive, fait un faux mouvement, et tombe à terre)
Lui : Ma chère !… Ne te romps pas les os !
Elle : (se relève) Ta chère ? Elle te quitte ! (elle sort déterminée)