La Tenue en argot

Texte réécrit et actualisé par Gilbert GARIBAL d’après celui des chansonniers maçons Léo CAMPION et Pierre DAC, auteurs chacun d’une « tenue maçonnique en argot »

Sur l’estrade, le Taulier met son galurin, enfile ses gants de vaisselle, empoigne le long cure-dent d’éléphant, et balance un grand coup de gourdin sur le burlingue !

LE TAULIER,
Frangin deuxième maton, quel est le premier bizness d’un maton en carrée ?

LE DEUXIEME MATON,
Taulier, c’est de bigler si la carrée n’a pas de fuite, si le chauffage est toujours en panne, si la climouze envoie bien la crève, si les frangins sont pas des frangines, si ya pas d’souris dans le sac à rats et si la lourde est bien bouclée !

LE TAULIER
Veux-tu bien gaffer, frangibus ?

LE DEUXIEME MATON
Frangin bignoleur, veux-tu bigler si la carrée est aux pommes, et décambuser en loucedé, pour arnaquer les loquedus, qu’auraient l’idée de squatter les parvis ? !

LE BIGNOLEUR BRANDIT SA RAPIERE COMME UN MANCHE A GIGOT. IL DECAMBUSE, IL ESGOURDE, IL RENIFLE BECEAUSE IL A L’TARIN EN FONTAINE, IL MATTE AU GRILLAGE DE LA LOURDE, IL S’ENHARDIT ET RISQUE UNE GUIBOLE DANS LE COULOIR, PUIS IL RENQUILLE DANS LA TAULE. IL GLAVIOTTE UN COUP, REPREND SON SOUFFLE ET ENVOIE A LA MELEE :

LE BIGNOLEUR – Ya pas un mecton en vue, pas un rat, pas une souris sur le carreau, aucun malfaisant, la planque est peinarde, on est quasiment au chaud, Taulier !

LE TAULIER
On n’est plus dans le monde des vulgos, on peut commencer le turbin. Mes frangins, debout, la main au colbac et les pieds à la « dix heures dix », on y va pour une tournée de battoirs !

LES FRANGINS TAPENT DANS LEURS POGNES, LEVENT LEURS BRADILLONS, ET POUSSENT LEUR CRI DE GUERRE : « LIBERTE, FRATERNITE, LUBRICITE !»

LE TAULIER
Frangins, posez vos derches. Frangin Greffier, veux-tu nous jacter la baveuse de nos dernières cogitations ?

LE GREFFIER
Frangin Taulier, j’ai la scoumoune ! En effet le Greffier, cherche ses papelards dans sa musette, fouille ses profondes, matte sur sa chaise des fois qu’il aurait le prosinard dessus, et lance en pleine déconfiture : « Merdoum, mon Taulier, à cause que j’négociais avec une gagneuse dans le RER, j’ai tout paumé : mes racontards sur la dernière rancarde et la planchouillette que je devais vous dégoiser ce soir. Ma parole, toutes ces jaspinades ont dû s’ effeuiller sur les repose-culs du wagon, ca m’fait deuil d’arriver bredouille, mes frangibus, j’d’mande les indulgences ! ». J’ai dit, Frangin Taulier.

LE TAULIER
Ya pas d’offense, greffier, mais t’es quand même un bel enfoiré de mes deux ! La prochaine fois qu’tu vas aux putes, te goures pas d’serviette ! Donc pas de planchouillette ce soir, c’est toujours çà de gagné. Vous mes pommes et vous les matons, esgourdez si y a des niares du subjonctif et des pinailleux de la virgule, qui réclament sur les colonnes des rectifs de la baveuse du greffier !

LE PREMIER MATON
Boss, les affranchis n’ont pas jaspiné. On entendrait un poil de cul voler, mon Taulier.

LE TAULIER
Je demande la jactance du frère Baratineur

LE BARATINEUR
Tous les mecs ont bien entravé, Taulier, sauf les sourdingues et les absents, c’est banco, d’autant que l’greffier n’a rien bavé!

LE BIGNOLEUR
Frère Taulier, on frappe en emmerdeur à la lourde de la baraque !

LE TAULIER
Frère Bignoleur, reluque par le trohu, l’empaqueté qui ose se pointer à la bourre, demande lui son blase, et s’il refoule du goulot, renvoie le cuver son beaujolfpif sur le macadam !

LE BIGNOLEUR
Mon Taulier, c’est le Frère Fouineur qui vient nous inspecter, c’est un vieil hareng qui arrive en bécane du siège de l’obédience ! Il ne pue ni du bec, ni du fion !

LE TAULIER
Bon, puisque c’est un hareng, laisse le mariner. Dis lui de réviser son cantique, pendant une demie plombe. Et qu’il touche pas au carafon de pichegru sur le comptoir, même s’il a la langue dehors ! Y a pas d’raison d’étancher gratos les juteux de l’obédience.

LE DEUXIEME MATON
Frère Taulier, la cabane est réglo. Tous les offic’mards ont les miches au sec dans leurs couches « confiance », et ils ont laissé leur litron à la lourde de la carrée.

LE TAULIER
Quel est le boulot d’un premier maton ?

LE PREMIER MATON
Frangin Taulier, c’est de se rencarder si tous les gus de l’atelier sentent la rose, sont bien des potes et pas des demi-sel !

LE TAULIER
Premier et second maton, vos zigues, faites votre turbin. Bignez s’il n’y a pas de loquedus. Sinon, faut les argougner et me le bonir illico. Et vous, les zigomards, tas de fainiants, mettez-vous raides sur vos cannes, la pogne sous les mandibules, les chasses en boules de loto tournés vers le GADLUTIN, face au bourguignon !

TOUTE LA TRIBU SE MET SUR SES GAMBETTES, LE COUDE EN GUILLOTINE. LES MATONS CIRCULENT, l’ŒIL MEFIANT, LE MAILLET DEGOUPILLE SUR LE POITRAIL. ILS MATENT LES ZIGUES QUI LEUR FONT TOUS UN BRAS D’HONNEUR COMAC !

LE PREMIER MATON
Boss ! Tous les mectons qu’ont réussi à s’mettre sur leurs guiboles, ont la tronche en ligne, la braguette fermée et le braquemard au repos derrière le torchon. Y a pas d’gonzesses planquées sous les chaises, ni derrière les colonnes.

LE TAULIER
C’est itou au bourguignon. Tous ceux qui me collent aux baskets à l’Orient sont aussi de la boutique. Au nom du GADLUTIN, la cabane est affranchie.

A CET INSTANT, IL ENVOIE UN COUP DE MATRAQUE SUR LE BURLINGUE, SE GRATTE LE DERCHE, ECRASE UN MORBAC QUI PASSAIT PAR LA ET REMONTE SON FALZAR EN PERDITION. PUIS IL REMET LA GOMME D’UN COUP DE GUEULOIR :

Frère Bignoleur, fais entrer l’Inspecteur VITOS, pour qu’on esgourde son baratin, et en passant près de la cantoche, vérifie que les apprentiots n’ont pas garé par erreur le jaja dans le micro-ondes ! Debout les frangins, rapière à la pogne, formez la tôle d’acier et restez calmos. Ce soir, on n’embroche pas les emplumés ! Puisque c’est du beau monde qui rentre, biglez-le dans les chasses l’Inspectos, on va s’le’croquer à l’ancienne, façon banlieue ! Bonsoir mon frère Fouinard, enlève tes pinces à vélo, éteins tes clignotants, monte à l’Orient, je vais t’rouler une pelle mais m’écrase pas les arpions au passage. Prends place mon frangibard, et balance nous ton morceau. Tu fais court ; c’est lundi et la légende, on connaît la fin !

LE PERE FOUINARD ROTE UN COUP, FAIT BALOCHER SES MEDAILLES SUR SON BOLERO ET ORDONNE A L’ASSISTANCE DE S’RAMOLLIR. TOUS LES FRANGINS QUI COMMENCAIENT A CALENCHER DEBANDENT, POSENT LEURS CROUPIONS AVEC BONHEUR ET SE METTENT AUSSI SEC A ROUPILLER PENDANT LE SERMON. LE HARENG EN FOUT PLEIN LES ESGOURDES AUX VISITEURS QUI ESSAIENT DE GARDER LES CHASSES OUVERTS . ON RECONNAIT DANS L’ASSISTANCE PUBLIQUE : PEPE LE MOKA, PEDRO LE BASANE, ET LE TRAVELO HABITUEL, BETTY LANGUE DE FEU, AVEC SON TABLIER EN DENTELLES. APRES LA DEGOISE DE L’ENVOYE SPECIAL, LE TAULIER FRAPPE ENCORE UN GRAND COUP ET CETTE FOIS, DEFONCE LE BURLINGUE. IL REVEILLE TOUTE LA CARREE. MEME LE GADLUTIN OUVRE UN ŒIL DANS SON TRIANGLE !

Frangins matons, rancardez-vous auprès des potes de vos colonnes s’ils n’ont rien à balanstiquer. Je vais faire circuler le sac aux embrouilles et le tronc de la joyeuse. Faut bien aider les frangins dans la purée. Mettez de la fraîche et nous r’filez pas vos boutons de cal’bards. Gambergez aussi à vos capit’, le magot de la taule est encore à marée basse. Premier maton, les frérots sur les colonnes sont-ils jouasses ?

LE PREMIER MATON
Ils le sont Frangin Taulier, et ils le montrent : ils ont à nouveau la gaule, les braguettes s’épanouissent et les torchons sont tendus !

LE TAULIER
Second maton quel est ton âge ?

LE SECOND MATON
Trois ans, vieux !

LE TAULIER
Tu les fais pas ! Quelle est la durée du boulot ?

LE SECOND MATON
35 heures, taulier ! Oh pardon ! la durée du boulot, c’est le temps qu’il faut pour aller du bourguignon au plumard, patron !

LE TAULIER
Premier maton, quelle heure est-il ?

LE PREMIER MATON
J’ai pas ma toquante sur moi, mais au vu des berlingots en capote de fiacre, et l’odeur d’écurie des pue la sueur, c’est l’heure du plumard, Taulier ! Les travaux sont épuisés et nous avec ! D’ailleurs, j’entends sonner douze plombes au clocher et on en a tous plein le cul !

LE TAULIER
Puisqu’il est l’heure, puisque que les frangins ont pris leur panard, et qu’il faut aérer la cambuse parce que ca schlingue comme au cirque Amar, je déclare la fin du turbin. Au nom du GADLUTIN et pour sa bonne pomme, on va lui en filer une glorieuse. Oh, mes frangibus, tapez trois fois dans vos pognes ! Et surtout ne bonissez rien au dehors du taf de ce soir. Allons nous filer au paddock avec nos nanas. Poursuivons au soleil le boulot commencé dans la carrée. Pour ceux qui vont le continuer sous la lune au bois de Vincennes, sortez couverts !

Mais avant, on va écluser une douzaine de fillettes pour nous rebecqueter. Il faut faire fissa parce que je vois le calendos qui coule déjà sous la lourde. Frères matons, vous pouvez éternuer sur les loupiottes. Et vous tous mes frangibus, que le zéphirin de la joie souffle dans les cœurs et nous pousse vers les berges de la sagesse, c’est-à-dire tranquilos jusqu’à notre pucier. C’est l’extinction des feux : vous pouvez aller relâcher vos prostates.

Et que le gros dégueulasse qu’a pas arrêté de flatuler, de flouser et de perlouser à l’Orient pendant tout l’office, pense à s’acheter un bateau à voile, il ira loin ! Sûrement jusqu’au 33ème rugissants !

Suivez-moi, mes frères offic’mards, on a l’vent dans le dos !