Charles de COSTER

La légende et les aventures héroïques, joyeuses et glorieuses d’Ulenspiegel et de Lamme Goedzak au pays de Flandres et ailleurs.

Charles de Coster           Éd. Labor – Bruxelles 1988

    Cet ouvrage n’est pas à proprement parlé un ouvrage d’humour maçonnique. Il est pourtant à la fois un ouvrage d’humour et un ouvrage maçonnique!
Ouvrage maçonnique car il est l’œuvre du Frère Charles de Coster  (voir biographie ci-dessous) qui, dit-on, l’aurait écrit en guise de travail d’accession à la Maîtrise…
Pour l’humour, qu’on en juge à cet extrait de la préface du Livre premier.

PRÉFACE DU HIBOULDINGUE  (Extraits)

Allons-y gaiement ! En parfait anar ! Du côté du Ribouldingue, cher à Forton fortiche, et de Lambique, gueuze Mort Subite !
Allons-y en populo-lacanien, en machinchouettezer et en Nele-L-F vaincra… un jour, plus tard !
Allons-y en faisant Tilt – à temps ! – avant que les dictionnaires ne passent tous les mots du peuple sur leur billard !     Allons-y, franchement, Hypocras Lecteur ! Mon sans­blague ! mon tonneau ! mon tonnerre ! mon frère crevé de verres à Thyl-larigot ! [… ]

Allons-y dans les Don Alonzo d’époque ! Pourfendons­les ! Méprisons l’Infant bigot et demeuré dolent ! Craignons les reîtres et lansquenets enguirlandés de croustillants roustons sangria cardinaux !
[… ]  Chantons les Flamandes et dans le port d’Amsterdam !
Aimons toutes les femmes ! Tudor laideron ou tireuses uccloises de flèches Cupidon ; fraulein accorde, baesine des trognes, servante borgne [… ], pretentaine de Lamme – Bedou Juan de sa seule bedaine boyau de cane ! – et Nele, bien sûr, verseuse de séminales larmes !     Aimons-les, chiennes ! Montons dans les speel-wagen ! ou, Thylmatloos, parcourons, solitaire, le monde et ses singulières façons d’être !
Aimons les chiens ! Titus Schnouffius, le rousseau sac à puces, coiffé à la tutusse !
Les chiens et les Humains ! Les mots païens ! Les catins ! Les Katheline qui ont un trou à fièvre et à malin et celles qui font des carolus florins à Vinave d’Isle, au Pays de Liège !

 

Aimons les sens ! Aimons les parlantes à doubles signi­fiantes ! [… ]Ayons le dans l’Osst (Vlaanderen ou d’ailleurs !) de toutes les langues !  Mélangeons-les ! Mélangeons tout !
Saint-Sang et l’Inquisiteur Sans-Pitié ; la moutarde, le H. et Madame Barbe, la Madame Claude des baraques à moustaches ; les choses et les choezels qui ne sont pas plus du koekebak que des crêpes platezak ! Grimpons sur le cheval de Veurne-Ambacht ! Bref ! mêlons tout !

Tout ! Carnavalesquement !
Faisons-en notre dernier mot !
Nous sommes, en effet, dans le carnaval des sens et dans l’essence même de ce qui fonde tout carnaval : le double incongru ; la multiplication des figures incons­cientes ; le cortège des gargouilles intérieures ; le défilé des craintes ; le réalisme irrecevable de la mort ; l’explosion des jouissances momentanées et la mouvance grotesque des masques de l’Histoire – quelle qu’elle soit ! – : toujours plus perverse, toujours plus polymorphe !
Nous sommes dans le polar déiste, la B.D. satirique des petits Mickey véreux et l’almanach rabelaisien des trouvailles et jours fartés par les classes travailleuses !
Nous sommes au coeur du cri populaire et au cru, le plus parodique, des pouvoirs plénipotentiaires. Atrabilaires ou discrétionnaires ! Réactionnaires !  [… ]

En fait, nous sommes dans ce qui fonde notre modernité littéraire : la fragilité et le rictus ; la mise à nu des strates de fondements ; la blessure ; l’humiliation et son revers, l’ironie ; l’étalage des contradictions et l’incessant battement de toutes les pulsions ! Mieux encore ! Nous sommes dans ce qui fonde notre modernité cosmopolite !
Thyl – ne redira-t-on jamais assez la bêtise de toute identification narcissique ! étroite ! régionaliste ! – Thyl ne représente que sa propre résistance diasporique, individualiste, et rien d’autre : aucun peuple, aucune nation, aucun tragi-comique morin ou iroquois !… et, tous les peuples, toutes les nations, tous…!
Il est pareillement de Dublin et de Manhattan, des Indes ou de Gilly, ou du picaresque andalou !
Il est de partout et de nulle part ! de Polonie, comme on dit !
C’est un artiste !
Gloire à lui et aux testicules d’encre de son géniteur : Charles De Coster ! 

Jean-Pierre VERHEGGEN

 

Charles de Coster

Biographie
Charles De Coster est né à Munich, le 20 août 1827.
Il entre comme employé à la Société générale de Belgique, qu’il quitte après quelques années pour s’inscrire à l’Université Libre de Bruxelles, où il obtient le titre de candidat au bout de cinq ans !
En 1860, il devient employé aux Archives générales du Royaume, mais démissionne au bout de quatre ans.
Charles De Coster traverse alors une période sombre, déçu sentimentalement, il est d’autre part à court de ressources financières. A l’âge de 43 ans, enfin, sa situation s’améliore, étant chargé de cours d’histoire et de littérature à l’École de Guerre. à ce moment, il écrit de nombreux livres.
Miné tant par son activité que par la misère par laquelle il était passé, il décède le 7 mai 1879, dans sa 52ème année.

Charles De Coster et les courants d’idées
Dès qu’il a terminé ses études secondaires, il fréquente la société des joyeux, où il rencontre des peintres, des littérateurs, des artistes. Puis il est membre du cercle “Lothoclo” qui édite la Revue nouvelle.
En 1856, il collabore à l’hebdomadaire satirique Uylenspiegel dans le domaine politique aussi bien que littéraire, par ses contes en français rabelaisien.

Charles De Coster maçon
Le 7 janvier 1858, il est initié à la R. L. “Les Vrais Amis de l’Union et du Progrès Réunis”, dont le Vénérable Maître est un libéral progressiste, admirateur de Louis Blanc. Il adhéra aussi à “La Libre Pensée”, dès la fondation de cette association, en 1863.
C’est l’époque où Charles De Coster écrit le début de la légende d’Ulenspiegel, dont l’inspiration est maçonnique et universelle. Il présente plusieurs morceaux d’architecture dans sa loge.

Charles De Coster et la politique
Le carbonaro G. Garibaldi est son héros.
Il admire le F. Proudhon (réfugié politique à Bruxelles).
Il bouillonne d’indignation lorsque les grèves sont réprimées brutalement en Belgique, ou en raison de l’esclavagisme sévissant en Amérique du Nord.

L’œuvre littéraire
Malgré les privations dont il souffre, il écrit beaucoup et dans des genres différents : contes, récits, légendes, voyages, comédies, drames, romans, fables, poésies, etc… Il n’obtient cependant ni prix, ni reconnaissance, ni notoriété. Il tente de réunir des hommes que leur religion oppose ; il lance des idées anarchistes, il défend la justice universelle ; il refuse le compromis ; il se proclame libre de toute église. A part les “Légendes flamandes” (1858), la postérité n’a pratiquement retenu que “La Légende et les Aventures héroïques, joyeuses et glorieuses d’Ulenspiegel et de Lemme Goedzak au Pays des Flandres et ailleurs” (1867). Cette dernière oeuvre paraît à la fois le symbole de la résistance du peuple flamand à l’oppresseur espagnol et l’expression de l’esprit farceur et frondeur.
Toutefois, la recherche du symbolisme dans l’étymologie du nom, se heurte à deux explications différentes. Soit : uyl en spiegel, textuellement : hibou et miroir, c’est-à-dire : sagesse et comédie ; soit : uelen = vôtre, spiegel = miroir.
Notons que “Ulenspiegel” a engendré le mot français “espiègle” (dès 1559). N’oublions pas l’épisode de la résurrection de Thyl, qui remet en mémoire un certain rituel du troisième degré, et qui peut symboliser la reconquête de sa liberté par le peuple belge.
Enfin, certains auteurs tentent un parallèle entre les personnages de “La Flûte enchantée” et ceux de “La Légende d’Ulenspiegel”.

Renseignements recueillis dans LOGOS, périodique du Grand Orient de Belgique.