La maçonnite

1- Introduction

D’après une enquête effectuée auprès d’un échantillon représentatif du métier, en l’occurrence les délégués du dernier Convent, il a été établi que l’affection des maçons la mieux partagée était la “maçonnite”, nom commun pour désigner l’inflammation du maçon. C’est un mal sournois. Tous n’en sont pas atteints, mais tous en sont frappés. De nombreux malades ignorent leur maladie ou pire, feignent de l’ignorer.

Comment évolue la maladie selon les tranches d’âge ? Si nous parvenions à lever le secret médical qui entoure les ateliers de perfection, capitulaires et autres peut-être saurions nous si le mal régresse ou empire, là-haut.

Des professions sont-elles plus vulnérables que d’autres ? La maçonnite frappe-t-elle le F. architecte comme le F. épicier, la S. pédagogue comme la S. pédiatre, la S. magistrate comme le F. prévenu ? Comment le mal se répand-il sur le sexe ? Y a t il une maçonnite typiquement féminine, masculine et gaie… et guérit-on de la même façon selon qu’on est maçonne ou maçon ?
En ce qui concerne la transmission de la maladie, celle-ci emprunte-t-elle la voie de la transmission initiatique? Des formes contagieuses ont été mises en lumière, principalement à la lumière de I’Orient, là où se manifeste le signe d’infection le plus magnifique : l’accès de langue de bois. Il semblerait cependant que la maçonnite ne se transmette ni par les mains moites -mais dans le doute les gants restent la meilleure prophylaxie- ni par les embrassades fraternelles -éviter toutefois les excès !
La maçonnite franchit-elle la barrière des espèces ? Un maçon anglais régulier peut-il contaminer un maçon continental libéral ? Des experts européens, tels Kreustfeld et Jacob soutiennent qu’il n’existe aucun risque au travers de la chaîne alimentaire. Par conséquent il n’y aurait pas lieu de supprimer les “fraternelles”.
D’autres questions se posent encore. Par exemple, y a t il un risque de transmission génétique ? La loge issue d’un essaimage échappe-t-elle à la contamination de sa loge mère ou au contraire n’y a t il pas une aubaine pour la loge mère de se débarrasser des cellules contaminées ?
Une loge peut-elle en contaminer une autre ?
Enfin, pour se rassurer, si l’inflammation du maçon est souvent une fatalité, elle n’est pas forcément une vocation et tous n’en feront pas une hépatite… disons plutôt une jaunisse. On a observé des maçons enflés qui cessaient d’enfler dès qu’ils oubliaient de se surveiller. Car enfler demande une assiduité exemplaire, une attention sans relâche aux rituels, l’accomplissement rigoureux de ses devoirs, l’observation stricte de la règle, une pratique débordante de la fraternité, le respect total des autres et de soi-même…

2- Diagnostic différentiel de la maçonnite

Ils sont nombreux tant le cadre séméiologique de la maçonnite est imprécis.
Nous nous bornerons ici à différencier de la maçonnite deux formes particulièrement étudiées sur le plan nosologique : les névroses maçonniques et, exceptionnelle heureusement, la psychose maçonnique.
Tout le monde a présent à l’esprit cette définition xyloglossique de la maçonnerie: ” la maçonnerie est une auberge espagnole”.
Pour faire court et différencier la névrose de la psychose maçonnique, on peut dire que le névrosé maçonnique construit des auberges espagnoles et le psychose les habite. Quant au conseil de l’ordre, il encaisse les loyers.

– La névrose maçonnique revêt plusieurs formes cliniques, mais une entité polymorphe nous permettra d’étudier divers aspect de la symptomatologie névrotique maçonnique, c’est la névrose traumatique.

Proche de la névrose de guerre décrite par Freud, elle fut particulièrement étudiée par Jules BOUCHER.
Elle met en jeu un conflit entre le ” Moi de guerre ” et le ” Moi de paix ” du maçon qui se défend en se réfugiant dans la fuite (en avant ou en arrière selon les formes et ses goûts).
Cette fuite fait partie de la régression narcissique décrite par Ferenski et Naudon, avec mise en jeu des défenses archaïques telles que la répétition du traumatisme subi.
Le traumatisme initial peut être extérieur, comme un échec électoral, un refus d’augmentation de salaire, la critique d’une décision ou d’une prise de parole. Le traumatisme est qualifié d’extérieur car il a lieu généralement dans les parvis ou en salle humide. Mais il peut être aussi intérieur, et il rentre alors dans le cadre des psychonévroses où la surtension est intérieure au sujet.
En fait, si l’on suit les travaux de Grinker et de Till Spiegel, résumés dans la thèse de Lantoine, le traumatisme vécu ou fantasmé n’a que peu d’importance en soi; il n’a qu’une fonction de stimulation et de réactivation de conflits libidinaux non résolus. Le traumatisme, en fait, n’est que le révélateur d’une structure psychique prédisposante.
Les signes cliniques sont sous-tendus par l’angoisse libérée lors du traumatisme:
– Il est rare que la névrose maçonnique traumatique se manifeste par des réactions d’effroi avec état de stupeur allant jusqu’à l’évanouissement, ou d’agitation anxieuse compliquée de délire onirique. Le rituel des Tenues et la chaleur affective de la Loge symbolisant la mère (ce que Kipling appelait ” ma Loge Mère là-bas ” permettent d’éviter ces états de panique.)
Le retour à l’équilibre se fait en quelques semaines à quelques mois marqués par des périodes d’anxiété, des difficultés d’assiduité et des troubles du sommeil.

La plupart des névroses traumatiques maçonniques guérissent sans séquelles. En règle, ne persistent à distance qu’une labilité émotionnelle exagérée et une tendance à réagir de façon excessive aux stimuli anxiogènes. Un seul signe clinique persiste qui permet de faire un diagnostic rétrospectif: c’est le signe du claquement précoce décrit avec précision dans le traité de pathologie maçonnique de Désaguliers. Il consiste à une demande de prise de parole qui, tout en respectant le rite (qui consiste à frapper dans les mains et lever le bras) se produit sans intervalle libre dès la fin de l’intervention précédente vécue comme stimulus anxiogène rappelant le traumatisme originel. Ce signe a un équivalent au troisième degré dit signe du cabri ou de l’Europe parfaitement décrit dans les ” mémoires de désespoir maçonnique ” du général de Gaulle.

Quelques rares cas de névroses traumatiques maçonniques sont compliqués de manifestations tardives qui sont en fait des élaborations secondaires du sujet.
La symptomatologie est alors marquée par la structure sous-jacente de la personnalité du sujet.

Deux formes sont les plus fréquentes : l’hystérie et les états limites.

1- L’hystérie :
Elle est la plus fréquente et représente d’après les études épidémiologiques de la Loge de Framingam 80% des manifestations tardives.
Elle est plus fréquente à la suite de traumatismes bénins. Elle succède au traumatisme initial après un temps de latence dit ” temps de méditation “.
Comme l’hystérie classique de Charcot et Lafouge, elle associe un ensemble d’accidents polymorphes de somatisation à une modification globale du psychisme.

– Les modifications somatiques peuvent d’après Van Bogaert, et Ligou s’énumérer ainsi. Il s’agit le plus souvent de troubles neurovégétatifs que le sujet ne verbalise pas directement mais qu’il faut découvrir à partir d’un discours apparemment banalisé.
– L’hypersudation que le sujet met sur le compte du traumatisme originel ” Ils me font tous suer “.
– Les spasmes du tube digestif : ” Ils me font chier ”
– Les troubles oculaires: ” Tu en vois un, tu les vois tous ”
– Les états d’inhibition : ” L’autre soir, j’ ai pas pu venir à la Tenue ”
– Les troubles de la sensibilité qui se manifestent surtout par l’indifférence à l’égrégore.
– Les mouvements involontaires et les tics dont le plus connu est le ” tic de la boule noire ”
– Seuls les troubles de la vigilance sont dépistables pendant la tenue.

– Les troubles psychiques sont aussi très polymorphes:
Au minimum, on note des phases de dépersonnalisation où le sujet s’agrège à une fraction marginale de la horde primitive des frères hystériques. Cette dépersonnalisation est la conséquence de la perte totale de l’idéal du Moi, qui , comme chacun le sait, résulte en maçonnerie de la convergence du narcissisme et de l’identification parentale. (Dans le cas du maçon, ” fils de la veuve “, l’idéal du Moi est déjà difficile à trouver en dehors de tout antécédent traumatique). C’est pourquoi , dans leur monographie en langue arabe intitulée ” Le Mythe et le Roi “, et qu’il faut lire à l’envers, Choula et Lessek ont insisté sur le bon pronostic de ces troubles qui ne sont que la conséquence ontologique de l’état de maçon, mais pèsent tout de même sur l’harmonie de l’institution.

2 – Les états limites :
Au maximum, on peut retrouver un état crépusculaire (ombre et lumière sont les deux voies de la névrose traumatique à dit Zarathoustra), accompagné d’angoisse et quelques fois d’hallucinations et d’onirisme réalisant un état limite dont il est difficile de prévoir l’évolution vers la psychose maçonnique. En effet, la distinction entre ces manifestations tardives graves et la psychose maçonnique n’a pas encore fait l’objet d’une nosographie pertinente en raison des difficultés d’analyse sérieuse de ces états limites. Certains auteurs ont cru pouvoir décrire les convulsions de l’avant dernier convent comme symptomatique du ” Border-lire state “. C’est la thèse que développent Andrau et Giovanaï dans leur article ” le cas du petit Mr. E. ” paru dans les ” Annales du congrès du Sud-est “.
Ces Border-line state, pour les auteurs, qui se réfèrent à l’étude de Corneloup et Mourgues datant de 1968, mais négligée jusque là en raison de son parfum de chienlit (elle avait été publiée par la Loge de Nanterre), ont plusieurs caractéristiques cliniques :

– Une relation d’objet restée au stade primitif : La relation d’objet désigne le mode de relation du sujet maçon avec le monde maçonnique. Elle est le résultat d’une certaine organisation de la personnalité, d’une appréhension plus ou moins fantasmée de l’objet. L’objet doit être source de satisfaction, en ce sens, il est relativement interchangeable, sauf lorsqu’il est spécifié dans l’histoire du sujet, en ce sens, les traits de l’objet (la maçonnerie, la Loge, les Fr.) doivent s’approcher le plus possible de l’objet source perdu (ce que Freud et Guenon appellent le ” prototype objectal ” et Kipling et Gourdot ” The Mother -Lodge “. D’où, dans les états limites, la fréquence des réactions de rejet de l’objet proposé par l’institution ou le changement fréquent d’objet par exemple, passage du rite Groussier au rite écossais, puis au rite français, voire au RER etc. …

– La deuxième caractéristique clinique est la prévalence des processus d’identification primaire. L’identification primaire est la forme originaire du lien affectif à l’objet. Il s’agit là d’un processus préoedipien marqué par la relation cannibalique. Les états limites maçonniques sont donc marqués par la relation cannibalique à l’Autre, avec le désir illusoire d’être aimé malgré la réfutation de son altérité. ” Je t’aime, mon F. ° . donc je te tues ou je t’avale “. C’est l’explication de la chasse aux hérétiques, ceux qui ne veulent pas se laisser manger. Ceux que le V. ‘ . M. ‘ . de la Loge de Salem, Alain Charrier appelait “les ânes rouges, ceux qui refusent de se laisser atteler”.

– La troisième caractéristique clinique est l’absence d’identité. Le sujet-maçon border-line est partagé entre son désir de s’individualiser et son désir de conserver l’affection de la Loge-mère. De ce conflit naît le sentiment d’abandon lié à la tentative de séparation d’avec la Loge-mère. Ce sentiment génère une dépression anxieuse dont le sujet se défend par des mécanismes psychologiques tels que le clivage ou le déni. Le clivage est souvent matérialisé par l’essaimage ou l’absentéisme; mais celui-ci reste marqué par l’incapacité d’appréhender l’objet comme extérieur et amène au déni, refus de reconnaître la réalité de l’existence de la Loge vécue comme traumatisante.
Il arrive exceptionnellement que la Mère-Loge du sujet Border-line soit elle-même en état limite, dans ce cas, elle ne favorise pas la recherche d’autonomie du sujet, mais de plus, son besoin de feston avec le sujet la bloque. C’est ce qu’exprime le psychiatre hindou Coosmaraswamy qui assure ” qu’une église ou une société qui ne fournit pas les moyens d’échapper à ses propres institutions, qui empêche ses membres de se libérer d’elle-même réduit à néant sa suprême raison d’être “.

– Je passe sur le 4° élément clinique, le caractère superficiel des émotions et la pauvreté des affects, et vous renvoie à l’excellent ouvrage collectif du conseil de l’ordre intitulé ” les 3 R “, (de la calomnie, de rien et du temps) actuellement épuisé, mais que vous trouverez à la bibliothèque municipale de Vitrolles.

– Enfin, le dernier élément clinique des états limites de la névrose traumatique maçonnique est l’impossibilité pour le sujet de se mettre à la place des autres, conséquence de son état narcissique. C’est en fait l’absence de reconnaissance de l’altérité. Ce qui entraîne un trouble de la pensée, une pensée paralogique, une inaptitude à séparer les fantasmes de la réalité. Ce clivage se manifeste par une intolérance aux frustrations et par la systématisation de l’environnement du sujet en objets tous bons ou tous mauvais, avec une possibilité d’inversion rapide des qualitatifs. Cette modification abrupte des affects reportés sur le monde extérieur constitue le ” déni de réalité ” Ce déni peut aller jusqu’à la négation des fondements de la civilisation et du sacré, je veux parler de la transgression du tabou de l`inceste, bien étudié par Freud et Dutroux. Ils n’est pas rare alors devoir des FF épouser leurs soeurs.

En conclusion le signe clinique essentiel qui doit guider le diagnostic différentiel de la maçonnite, c’est la notion de la perte du Je/Jeu.
Une grande étude multicentrique est en cours pour déterminer si la perte du JE (J.E.) ne serait pas la conséquence de la perte du JEU (J.E.U.) (comme le jeu des perles de verre).
Dans la maçonnerie où tout est symbole, le jeu (J.E.U.) n’est-il pas le fil d’Ariane qui nous évite d’errer dans le labyrinthe du MOI ?

” Le jeu, disait un inconnu en nous guidant vers la grotte de la montagne située au bord de la mer, près de JOPPA, le jeu, disait-il, exige une rigueur qui en définitive est une ascèse. Il faut, avant quoique ce soit, arriver à triompher de soi en tant qu’animal, pour n’être plus qu’une vision, je dirais presque… une clarté “.