l’Habitude écrit à la Tradition

ESSAIS SYMBOLIQUES
Titres des Essais: Variations sur le tronc de la Veuve, Variations sur l'Opacité, Variations sur le coq et la chouette, la lettre G, 
Essaimage et Fleur de l'âge,le Tire-Bouchon,QI maçonnique, l'Habitude écrit à la Tradition, Tais-toi et taille!, Gâteau d'apprenti,la Maçonnite, 
Sous le Pavé la Plage, Au clair de la Lune, Méthode ASSIMIL, Maçonnerie sans Cédille, Cours du Soir, Le Sage ne rit qu'en tremblant, Agapes

 

LETTRE DE L’HABITUDE À LA TRADITION

Chère Tradition
Chère vieille chouette,

Ce que tu peux me faire rire !

À te voir tellement engoncée dans ton vieux costard démodé et râpé, tu me fais rire !

Et ce noeud pap’ sur ton faux-col jauni… tiens, ça fait sérieux comme un pape, et moi, les papes -Clovis Hugues te le confirmera- ça me fait rire !
Je sais, je me répète, mais vois-tu, répéter, ça fait partie de ma nature.

Tu peux parader en tes atours de vieille noblesse et te moquer de ma roture, tu n’entretiens tes privilèges qu’en te recommandant de règles désuètes qui ne font plus loi. Oublies-tu qu’on a guillotiné les us et coutumes de droit divin, et que désormais tous les usages et les mœurs naissent libres et égaux en droit ? Finies les filiations mythiques ou aristocratiques ! Tes blasons et tes emblèmes me font rire !
Ah ! tu cries au blasphème ? et bien soit, le blasphème c’est mon habitude, c’est ma seconde nature.

Dis- moi, chère tradition, de qui tiens-tu tes fausses pièces héraldiques ? Tu t’es appropriée mes habitudes premières, tu as sucé la moelle de celles de mes habitudes qui étaient vitales à ta survie, et tu as recraché celles qui ne convenaient pas à ton commerce : “Trade” en anglais, ce qui te fait préférer sans doute le commerce de l’écossisme à celui du Français. Tu m’as vampirisé.

C’est encore de moi que tu tiens ce goût immodéré pour les rites, et ce qui était naturel en moi, profondément humain, tu t’en es servie pour donner naissance à tes mythes. Car ce sont bien mes habitudes qui ont donné naissance à tes mythes et non, comme tu cherches à le faire croire, tes vieux mythes qui seraient à l’origine de tes rites.
Tes rites, se sont les béquilles qui te servent à assurer ta démarche claudicante. Et tu as si peur de te casser la figure quand tu avances, que tu ne t’appliques qu’à empoigner fébrilement tes béquilles, que tu ne progresses qu’en regardant tes béquilles, et que tu n’as d’autre préoccupation que la crainte de perdre tes béquilles !

Quand je pense que c’est moi qui te les ai fabriquées ces béquilles ! ô bien malgré moi, car qui sait comment une habitude devient un rite et comment elle échappe à la libre nature humaine pour aller s’embrigader dans les faisceaux de ton uniformité.

Je t’ai entendu prétendre que c’était toi, la Tradition, qui transmettait les principes primordiaux de l’Humanité ; quel culot ! Rends au moins à César ce qui appartient à la force de l’Habitude. Car qui d’autre que moi t’aide à transmettre des rites qui ne signifient plus rien à ceux qui les pratiquent, mais qui, un jour, pourront révéler aux cherchants, leur sens caché ?

Bon ! d’accord ! j’en conviens : ma nature fantaisiste et volage qui ne souffre point les rigueurs de la règle, joue à grimer et farder ton visage austère de vieille bigote au point que tes petits eux mêmes ne te reconnaissent plus. D’ailleurs ça vaut mieux pour toi, sinon ils prendraient peur.
Quoi ! je te scandalise, et tu veux m’étriper ? Alors là, vieille complice, je te trouve bien ingrate. Toute ma vie je t’ai maquillée sans que tu t’en rendes compte, et si tu peux t’en plaindre aujourd’hui, c’est bien parce que grâce à moi, tu es encore en vie.

Signé : L’Habitude.