Un mauvais contrat – (5mn)
Un couple de maçons : Kevin et Charlotte.
Kevin entre, un verre à la main. Il se sert à boire. Puis se dirige vers l’avant-scène.
Au public :
Kevin : Ça va ? Vous êtes bien là ? C’est confortable ?… Tant mieux… ou tant pis. (Il rit. Il est déjà un peu ivre)
Vous êtes en bonne compagnie ?… Tant mieux… ou tant pis. (Il rit.)
Moi… Y a plus grand-chose qui m’amuse dans leur Franc-maçonnerie. Non… Depuis Fernande… Une lumière s’est éteinte. Elle était merveilleuse Fernande. Merveilleuse. Mais ma mère n’aimait pas Fernande. On dit même qu’elle lui aurait mis une boule noire quand elle est passée sous le bandeau. Le bandeau ? C’est comme ça qu’ils appellent l’oral de leur examen d’entrée. Blackboulée ma Fernande ! Ma mère lui préférait Charlotte… Alors c’est elle qu’elle a pistonnée pour la faire entrer dans sa loge ; et moi, elle m’a fait épouser Charlotte…
Charlotte entre et va immédiatement se servir un verre.
Tu rentres bien tard de ta tenue, ce soir.
Charlotte : Pas plus tard que d’habitude.
Kevin : Tu crois ? Ah bon… Le temps passe si lentement à t’attendre.
Charlotte se sert un verre.
Charlotte : Y’avait pas de film à la télé ?
Kevin : Il se sert à boire et commence un peu à bredouiller.
Tu ne pourrais pas être un petit peu gentille avec moi, faire comme si je comptais un petit peu dans ta vie ?
Charlotte : En se servant à boire. Kevin ! Tu sais très bien pourquoi je t’ai épousé !
Kevin : Ah oui ! J’avais oublié… Mon argent… Heureusement que j’en ai de l’argent…
Ils boivent.
Charlotte : Non ! c’est parce que ta mère voulait une bru franc-maçonne, voilà !
Kevin : C’est ça ! pour que le pognon reste en famille. Et tu as fait croire à ma mère que tu m’aimais.
Charlotte : Elle se sert à boire. Pour ce que ça m’a rapporté… Rien de ce que j’attendais de ta mère !
Kevin : Une certaine aisance financière, quand même… et puis ses robes, ses bijoux…
Charlotte : Je ne parle pas de ça !
Kevin : Un travail tranquille et bien rémunéré dans l’atelier de confection de ma mère, non ?
Charlotte : Voilà au moins un atelier où j’ai gagné mon salaire, c’est vrai ! Elle se sert à boire.
Kevin : Rien rapporté, tu dis ? Et toi, qu’est-ce que tu m’as apporté ? Rien de l’amour que j’attendais. Alors dis-moi pourquoi on devrait rester plus longtemps ensemble ?
Charlotte : (ironique) Mais parce que tu m’aimes, voyons ! tu n’arrêtes pas de le répéter : Je t’aime, je t’aime, je t’aime… Ça en devient écœurant…
Kevin : Il se sert à boire et avale le verre d’un trait. Écœurant ? Tu as dit écœurant ?
Charlotte : Le mot est peut-être un peu fort… Je veux bien le retirer… Mais avoue tout de même que tu pourrais te comporter un peu plus décemment… Je t’aime, je t’aime, je t’aime… (dit-elle en battant des mains) c’est ton acclamation rituelle… Tu pourrais au moins m’épargner ça devant mes frangines ! Un peu de dignité, enfin !
Kevin : Mais quelle dignité ?… Depuis que je suis avec toi j’ai perdu toute dignité. Je n’ose même plus les recevoir, tes frangines.
Charlotte : C’est l’amour.
Kevin : C’est l’amour ?
Charlotte : Oui. Ça rend con, l’amour. Et encore, je ne te parle pas de l’amour fraternel… Enfin, puisque ta mère y tenait !
Kevin : Tu ne pourrais pas faire l’effort d’être un peu gentille et… fraternelle, avec moi ? Tu dois bien au moins ça à ma mère, non ?…
Charlotte : Voilà. Je suis gentille… Elle prend son verre et le lui remplit et se ressert. Elle lui tend son verre rempli. Mais honnête aussi : Je ne dois rien à ta mère !
Kevin : Ingrate !
Charlotte : Quoi, ingrate ? J’ai cru à ses promesses.
Kevin : N’as-tu pas réussi, grâce à elle, dans la haute-couture ?
Charlotte : Je ne parle pas de ça. Elle m’avait promis, aves ses relations, de me faire monter dans les grades supérieurs ! Et ça fait des années que je croupis au Bleu !
Kevin : Au Bleu !… C’est pour ça que tu vois rouge ? Et qu’est-ce que tu fais de moi ? Moi qui me traîne à tes pieds, comme un chien qui implore une caresse. Je finis par me dégoûter !
Charlotte : Je n’y peux rien… Tu n’avais qu’à pas m’aimer. Ce n’était pas stipulé dans le contrat.
Kevin : Quand je pense que j’avais toutes les frangines de ma mère à mes pieds. Des femmes belles, intelligentes, aimantes…
Charlotte : (froid constat) Et tu m’as choisie moi… Les mystères de l’amour !
Kevin : Tu te moques de moi… (S’effondrant). Moi, je voulais juste te prendre un peu dans mes bras. Je voulais juste que tu poses ta tête sur mon épaule quand il fait un peu froid dans la vie… Je voulais juste compter pour quelqu’un. Compter vraiment.
Charlotte : Tu demandes toujours l’impossible !
Kevin : M’endormir contre une femme caressante, qui aimerait se sentir contre moi… Une femme qui m’aimerait un peu.
Silence. Il se sert à boire.
On va se séparer.
Charlotte : Ah non ! Pourquoi se séparer ? On est bien comme ça.
Kevin : On est bien ?
Charlotte : Oui, on est bien.
Kevin : Mais je ne peux pas vivre sans affection.
Charlotte : Mais si, tu peux. Comment je fais, moi ? Un peu de discipline, voyons ! Si tu étais maçon, tu saurais maitriser tes passions.
Kevin : Alors c’est ça la vie que tu me proposes… un truc tiède et fade… sans rien pour un peu vibrer… et n’avoir pour amis que des francs-maçons qui ne parlent toujours que de franc-maçonnerie ?
Charlotte : Tu pourrais y rentrer en maçonnerie…
Kevin : Pour que tu deviennes ma sœur… ? Ah ! Tu te fous de moi !
Charlotte : (Elle rit) Oui !
Kevin : (Il donne de plus en plus de signes d’ivresse)
Alors buvons… tu veux bien me servir un verre ?
(Elle se love contre lui, lascive, et ils sortent leur verre à la main.)
Charlotte : Buvons !