Palladisme

Mémoires d’une ex-palladiste, Miss Diana Vaughan

    Comment ne pas évoquer Léo Taxil, cet ancien Frère et Libre penseur, maître es canular, professionnel d’un anticléricalisme de bas étage, qui passa à l’anti-maçonnisme pour revenir enfin faire les pires ravages dans le camp des Catholiques anti-maçons ?

(Lire par exemple Histoire des scandales maçonniques. Alec Mellor – Belfond 1982.)

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     Extrait du repentir de Miss Diana Vaughan, faisant le récit de l’initiation d’une institutrice au second grade du Palladisme : Chevalière templière. Au cours de sa cérémonie d’initiation, celle-ci refuse de transpercer un pain eucharistique…

    La scène se passe en 1891 dans un des Triangles de la province 37 du royaume britannique, sous la conduite du grand-Maître, un prêtre apostat polonais, qui “avait composé une sorte de psalmodie qui reproduisait, en l’exagérant encore, le fameux hymne de Carducci, apologie de l’ennemi de Dieu, où il n’employait pas le nom de Lucifer, mais bien le nom de Satan.”

La victime, qui avait alors à peu près mon âge d’aujourd’hui, ne s’attendait aucunement à ce qu’on lui demandât de poignarder une hostie consacrée. Elle se troubla, à l’injonction du grand-maître et de la grande-maîtresse du Triangle.
– Cela, dit-elle, je ne le ferai pas. Tout ce que vous vous voudrez, mais pas cela !
Le scélérat polonais insista, avec colère.
– Tu ne pratiques plus depuis vingt ans ta religion ! cria-t-il ; ton père t’a arrachée aux mômeries des bigots ; il haïssait le Dieu de la superstition ; nous t’avions crue digne de lui.
– J’ignore si mon père a commis des profanations semblables à celle que vous réclamez de moi, répliqua-t-elle ; pourtant, je le ne pense pas. Il s’occupait plutôt de politique que de religion ; il ne croyait pas en Dieu, je le sais, mais les croyances religieuses des autres ne le gênaient pas. Oui, il est vrai, voilà bien des années que j’ai oublié le chemin de l’église ; je n’ai reçu l’Eucharistie qu’au jour de ma première communion. J’ai toujours conservé avec amour le souvenir de ma mère ; elle n’osa pas contrarier mon père, quand il lui défendit de me laisser aller au catéchisme de persévérance Pauvre maman ! elle a bien souffert Et elle priait pour mon père, quand elle lui ferma les yeux sur cette terre d’exil ! Elle est morte, à son tour… Mais je sens qu’elle me voit, de l’autre monde où elle est. J’ai dû l’attrister souvent par ma conduite. Néanmoins, je n’avais jamais soupçonné que vous me demanderiez de me donner au diable. Cela, non! Vous me faites frémir, maintenant que je sais votre but…. Oh ! je ne veux plus être des vôtres. Je n’ai communié qu’une seule fois dans ma vie ; mais j’étais une bonne petite fille. Tenez, je pleure en y pensant.
Je suis une indigne créature, oui, oui, hélas ! A quel point faut-il que je sois indigne, pour que vous m’ayez crue capable de poignarder l’hostie où Jésus-Christ vit caché ; car je crois que Dieu est là Oh ! ma mère, dans l’autre monde, me maudirait, si je commettais un aussi exécrable sacrilège ! Non, non, jamais je ne ferai cela.  Je vous garderai le secret que je vous ai promis ; puissiez-vous descendre à votre tour dans vos consciences : mais je ne veux plus être des vôtres, je me retire.
On l’avait laissée parler, sans l’interrompre.
– Tu viens de prononcer toi-même ta condamnation, fit le grand-maître, quand elle eut fini.
– Ma condamnation?
– Oui. Puisque tu nourris les sentiments que tu viens de nous exposer, il fallait te retirer de la Maçonnerie avant d’être appelée au Palladisme. Quand on a franchi le seuil des Triangles, on ne démissionne plus, sous prétexte qu’on avait mal compris. Il est trop tard pour te retirer. Tu sais quels sont nos derniers mystères, et ils te font frémir, as-tu dit.
– J’en ai horreur, en effet.
– Tu es donc devenue notre ennemie.
– Non. Je suis désolée d’apprendre que vos règlements vous ordonnent de si horribles sacrilèges. Ce sont vos règlements que je rejette. Je maudis ceux qui les ont conçus et qui vous les ont imposés ; mais, vous autres, je vous plains d’être dans un tel égarement. Cette nouvelle initiation que vous vouliez me donner m’a ouvert les yeux.
– Malheureuse ! c’est toi qui viens de retomber dans l’aveuglement. Tu renies la lumière. Tu blasphèmes Satan, notre Dieu ; car c’est lui qui nous a donné nos règlements. Il ne nous les a point imposés, nous les avons acceptés avec bonheur, parce qu’il est, lui, l’immuable vérité, le grand calomnié des prêtres et des rois. Ainsi, tu te ranges sous l’étendard d’Adonaï, tu redeviens de coeur l’adepte du Dieu de la superstition ; quoi que tu dises pour te disculper, tu es maintenant notre ennemie. Eh bien, comme telle, tu es devenue un danger pour notre Ordre. Si nos opinions étaient déjà triomphantes sur le globe, peut-être te laisserions-nous sortir d’ici : mais la superstition est encore la dominatrice ; nos rites sont mal interprétés par le vulgaire ignorant ; tout est bon aux prêtres d’Adonaï pour nous diffamer. Quiconque, ayant été des nôtres, cesse d’être avec nous, est contre nous. Notre sécurité nous oblige à te traiter en mortelle ennemie. C’est pourquoi, je l’ai dit, tu as prononcé ta condamnation toi-même. Tu ne sortiras pas d’ici.
Elle s’élança vers la porte ; mais les Frères qui se tenaient au fond de la salle lui barrèrent le chemin. Plusieurs mains vigoureuses s’abattirent sur elle.
– A mort ! à mort!  hurlait l’apostat polonais.
De véritables forcenés s’étaient emparés de l’infortunée jeune femme et maîtrisaient ses mouvements, quoi qu’elle fît pour se débattre. Dès lors, elle put bien se considérer comme perdue. On étouffa ses cris en la bâillonnant. Dans la lutte, ses vêtements avaient été déchirés, mis en lambeaux. On la lia avec des cordes très serrées autour du corps. Mais on disposa le bâillon de telle sorte qu’elle pût respirer.
On ne voulait pas la tuer immédiatement.
Les misérables levèrent la séance, abandonnèrent leur victime, gisant sur le sol, et partirent de la vieille maison, après avoir fermé avec soin toutes les portes. Si par impossible elle avait pu rompre son bâillon, ses cris n’auraient pas été entendus de l’extérieur.
En s’en allant, les bourreaux se donnèrent rendez-vous, à quelques uns, pour le lendemain ; ils devaient délibérer sur le genre de mort à infliger à la malheureuse.
Ils revinrent, en effet, à la nuit tombante. Ils étaient neuf, dont deux Sueurs et sept Frères, parmi lesquels l’apostat polonais. Celui-ci, dans la journée, avait fait apporter des tuyaux de plomb, du plus petit modèle dont on se sert pour les installations de gaz. Le scélérat avait eu une idée, et il se sentait certain de la faire adopter par ses collègues ; elle était atroce.
Quand on reprit séance, dans la même salle que la veille, par conséquent en présence même de l’infortunée, inerte, mais respirant et entendant tout, un des Frères ultionnistes, pris sans doute de compassion, essaya de la sauver.
Il proposa, timidement, de mettre une dernière fois l’institutrice en demeure de transpercer d’un coup de poignard l’hostie consacrée.
– Elle a pu réfléchir depuis hier, dit-il, et peut-être est-elle revenue à de bons sentiments.
Mais l’apostat polonais s’opposa vivement à une nouvelle épreuve.
– Non, non ! s’écria-t-il. Elle s’est condamnée hier ; c’est définitif… C’est la peur de la mort qui seule lui ferait commettre ce qu’elle considère comme un sacrilège. Une fois hors d’ici, elle le regretterait ; elle irait trouver un prêtre d’Adonaï, se confesserait, obtiendrait l’absolution et ne reviendrait plus parmi nous. Plus que jamais elle serait notre ennemie. Ne la laissons pas échapper, et exécutons-la sans sursis, sans rémission !
Alors, il exposa son idée, soulignant son explication d’un rire féroce. Cet homme exerçait sur ses complices une véritable terreur ; aucun n’osa élever la voix contre lui, de crainte de se désigner à son implacable haine. Il demanda le vote à mains levées, et toutes les mains se levèrent.
Quel crime !… Voici ce que les neuf ultionnistes avaient voté :
Autour du corps de la victime, déjà liée par les cordes, on enroula les tuyaux de plomb que l’apostat avait fait apporter. Puis on descendit la victime dans une cave aux murs épais ; cette cave, ainsi que les autres de l’immeuble, n’était pas utilisée, parce que la vieille maison, soit à cause de sa vétusté, soit à cause du voisinage d’un égout, avait son sous-sol infesté par les rats, et ni les pièges ni les appâts empoisonnés n’avaient pu la débarrasser de ces mauvaises bêtes, de taille à lutter contre les chats.
En pâture aux rats, aux gros rats d’égout, livrée vivante, tel fût le sort de cette malheureuse Soeur palladiste qui n’avait pas voulu poignarder l’hostie sainte !… On comprend, sans qu’il soit besoin de les décrire, quelles furent les horreurs de cette affreuse mort.
Et le souvenir de cet exécrable forfait m’a poursuivie souvent ; et j’y ai songé encore depuis le dernier jour de ma neuvaine ; et mon amour pour Dieu redouble, et ma haine redouble pour Satan.
Ah ! combien je suis heureuse d’avoir été éclairée, en cette nuit bénie du 20 au 21 août ! … La douleur que j’éprouvais auparavant à la pensée de nouveaux supplices infligés à Jésus par les sacrilèges sectaires était devenue un tourment intolérable. Maintenant, je ne l’ai plus, le cruel doute. Je gémis sur les criminelles intentions des sacrilèges des fanatiques lucifériens…