Jury Fraternel

La chambre de justice maçonnique se réunit pour juger les plaintes de Frères.
La chambre peut être constituée de 3 Frères et Sœurs juges et d’un président.
Le plaignant est amené par un maître de cérémonie.
6 personnages : Plaignant, Président, Juge 1,  Juge 2, Juge 3, Huissier.

Président – Prends place mon Frère. Tu nous viens de Paris ; affilié depuis 2 mois dans la loge « les Travailleurs de la Terre » à l’Orient de « Cassagnouse les Olives », tu as choisi de prendre ta retraite loin des servitudes de la vie urbaine. Or, la maçonnerie que tu découvres ici est loin, dis-tu, d’être aussi paisible que celle dont tu rêvais en t’installant à la campagne. Est-ce bien cela ?
Plaignant – c’est exact, frère Président. Je ne mange plus, je ne dors plus et les tenues me sont insupportables !
Président – je lis ta plainte : « toutes les nuits, le coq de mon voisin le paysan qui habite au croisement des deux départementales, chante chaque fois qu’une voiture fait un appel de phare… » je ne vois pas en quoi ça concerne la maçonnerie. Et puis, un coq qui chante en recevant la lumière, c’est merveilleux, non ?
Plaignant – Oui, sauf que le paysan, il est dans ma loge, et il ne veut rien entendre de supprimer son coq ! C’est fraternel ça ? Je ne me suis pas retiré la campagne pour subir ces nuisances !… Sans parler des cloches !
Président – Je lis en effet que les cloches du village sonnent toutes les demi-heures du jour comme de la nuit et que ça t’empêche de trouver le sommeil. Et bien sûr, tu es allé voir le curé.
Plaignant – Le curé, oui ! … Vous me voyez, moi, maçon, fils et petit-fils de maçon, supplier la calotte, me coucher devant le goupillon ?
Juge – je connais le curé ; c’est un brave homme. Que t’a-t-il répondu ?
Plaignant – Vous n’allez pas le croire ! Il m’a montré l’arrêté municipal qui autorise ce tapage, et la lettre du maire qui lui fait compliment d’entretenir les traditions rurales.
Juge – tu es donc allé voir le Maire…
Plaignant – (il rit, ce qui déclenche un rire général) Bien sûr, vous savez qui c’est le maire !
Juge – Puisque tu sembles le savoir, oui, le maire, c’est notre Frère Y…
Plaignant – Il est aussi dans ma loge ! Un républicain, lui ? Même pas laïque !
Président – La Laïcité n’a rien à voir avec ta querelle de clochers, mon frère. Quant à la république, tu es en droit d’aller te plaindre à elle de ses services, mais pas à nous… tu t’es trompé de porte, mon Frère !
Plaignant – Ah ! la porte ; Parlons-en de la porte ! Celle du temple n’est pas capitonnée et tous les bruits de la terre s’y engouffrent pendant les tenues. Sans parler des odeurs.
Juge – Je vois mon frère, Ce n’est pas la campagne que tu insupportes. C’est Paris qui te manque : le vrombissement des moteurs, les coups de klaxon, l’odeur du métro…
Plaignant – Ah non ! bien sûr que non ! Tout est pire ici : les sabots des vaches, les aboiements des chiens, les clochettes des chèvres, ding ding ding ! et la bouse qui pue jusque dans les parvis…
Juge – Décidément, il y a quelque chose qui cloche en toi, mon frère.
Plaignant – quel vacarme ! même que le Véné est obligé d’interrompre la lecture des planches quand les troupeaux rentrent.
Président – c’est sans doute pour que chacun puisse mieux gouter la musique pastorale…
Plaignant – Moquez-vous ! et je ne parle pas des cigales ! ça siffle ! ça siffle dans ma tête.
Juge – les acouphènes, mon frère !
Plaignant – C’est ça… vous allez me dire aussi que ce sont mes pellicules qui ont sali mon col ? Regardez !
Juge – Ah oui, c’est quoi ça, ce dégueulis sur ta veste ?
Plaignant – des déjections d’abeilles ! Tu ne peux pas franchir le seuil de la salle humide sans te faire crotter par cette saloperie.
Président – Viens donc en loge en tenue moins sélecte… Tu sais, à la cambrouse…un sarrau noir peut faire l’affaire.
Plaignant – Parlons-en de la tenue à la cambrouse ! à Paris, il y a longtemps qu’on a abandonné le costume-cravate. Ici, que des bouseux endimanchés ! Habit de soirée, col cassé, gilet, nœud papillon ! on se croirait sur la banquise.
Juge – la Banquise ?…
Plaignant – Oui… c’est bien sur la banquise qu’on les trouve les pingouins ? Et encore, si les pingouins d’ici prenaient un bain avant de venir… ça puerait moins la sueur…
Président – (coup de maillet) Désolé mon frère, mais nous n’allons pas sacrifier le mode de vie des frères, des bouseux comme tu dis, pour complaire aux petits coqs des villes. (Désignant un membre du jury sous l’œil goguenard des juges)
Raccompagnez notre frère plaignant. (Au passage il lui serre néanmoins la main.)
Plaignant – Ah ! je comprends pourquoi tu les défends, les péquenots. Ta main…
Président – ma main ?
Plaignant – Ah ! je les reconnais bien, dans la chaine d’union, vos mains râpeuses de paysans ! La tienne est rugueuse comme les leurs. Tu es comme eux ! C’est donc pour ça que tu les défends !
Il sort sous le bruit des clochettes, des « Meuh » et des rires…

Chant : à proposer
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Cette saynète peut inspirer d’autres types de frères ou sœurs plaignants :
– le promoteur immobilier
– l’épicier
– l’avocat véreux
– l’inspecteur du travail
– le contrôleur du fisc
– le « grand » philosophe
– le « laïcard » intégriste
– l’intello
– le phobique de la contagion, Etc….