Maison de retraite

Le jardin d’une maison de retraite. Une vieille femme, Françoise vient s’asseoir péniblement sur un banc. Elle rêve ou elle lit, ou tricote…
Passe une autre vieille, Suzanne, avec son déambulateur (ou une canne), courbée, le regard vers le sol.
Françoise la reconnait.

Françoise – Mais… c’est toi Suzanne ?
Suzanne lève la tête.
Suzanne – Françoise ? Ma sœur Françoise ! (Elles se donnent l’accolade) Mais qu’est-ce que tu fais là ?
Françoise – Eh bien tu vois, je prends l’air… Mais… tu es aussi dans cette maison de retraite ?
Suzanne – Ben oui, ça fait… ça fait…
Françoise – Et on ne s’était jamais encore rencontrées ! ça alors !… quelle surprise !
Suzanne s’assied difficilement près de Françoise.
Suzanne – Tu peux le dire, c’est une surprise. Combien de temps qu’on ne s’était pas vu ?
Françoise – Depuis que tu es passée honoraire !
Suzanne – Dix ans déjà ! Et toi, tu vas toujours en tenue ?
Françoise – Non, ici, ce n’est plus possible, je n’ai pas la permission de minuit.
Rires
Mais la maçonnerie m’occupe encore beaucoup. Tu peux pas savoir !
Suzanne – Comment ça ? tu ne vas plus en loge ! … Ah oui, la maçonnerie, tu veux dire que… que tu fais construire, c’est ça ? tu vas quitter cette maison de retraite ?
Françoise – Ah non ! bien au contraire, si tu savais…
Suzanne – Alors dis-moi, raconte…
Françoise – Eh bien tous les soirs je maçonne !
Suzanne – Tu maçonnes ?
Françoise – Voilà. Ça fait deux mois maintenant que j’ai fait la connaissance d’un petit vieux…
Suzanne – Ahhh !
Françoise – Il occupe la chambre d’à côté !
Suzanne – Ouah ! tu as un petit ami ? c’est merveilleux !
Françoise – C’est la meilleure chose qui me soit arrivée, et en plus, tu vas rire… il est franc-maçon !
Suzanne – Un frère ! Quelle chance ! Et alors ?
Françoise – Alors tous les soirs, après le dîner, il vient dans ma chambre…
Suzanne – raconte !
Françoise – il s’assoit au bord du lit. Il me donne l’accolade… (ravie, transportée) je le laisse me presser contre lui… le haut… le bas…
Suzanne – Dis-moi tout !
Françoise – alors notre tenue commence…
Suzanne – en petite tenue ?
Françoise – (elle poursuit sa rêverie) nous lisons nos rituels d’ouverture, un jour le mien, un jour le sien -nous ne travaillons pas un même rite ! – Nous revivons notre initiation, je lui retrousse son pantalon, il me passe une pantoufle, je lui dégrafe sa chemise, il me passe le cordon de son peignoir autour du cou, nous buvons notre tisane au même calice, il me fait le coup de la prise de sang, nous rions ! nous nous applaudissons, tantôt l’acclamation française, tantôt l’écossaise… Osons ! Osons ! Osons ! qu’on dit pour rigoler.
Suzanne(qui commençait à s’ennuyer, et qui est tout à coup excitée) Et vous osez ?
Françoise – On ose tout ! On joue même à être Vénérable !
Suzanne(vicelarde) Et bien sûr, c’est toi qui lui tiens le maillet !… et lui, il reste toujours d’équerre ?
Françoise – ça oui ! Jusqu’au rituel de fermeture ! à ce moment-là, je fais la veuve : il dépose son obole (elle écarte son corsage pour montrer sa gorge)
Suzanne – Et il te fait des propositions ?
Françoise – (qui poursuit son histoire) Après, nous nous allongeons l’un à côté de l’autre et nous nous relisons nos planches… le bonheur ! …
(Un temps)
Suzanne – (lassée mais fraternelle) Tu as une sacrée chance. Je suis très contente pour toi ma chérie.
Françoise(s’excusant) Mais je ne parle que de moi ! Et toi, ma Suzanne, ta retraite, comment ça se passe ici ?
Suzanne – Bien ! c’est vrai que la cuisine est bonne, le service parfait, les soignantes sympa, les chambres confortables… et puis, je m’y suis fait un ami moi aussi.
Françoise – Toi aussi, tu as rencontré un ami ?
Suzanne – Oui, j’ai un petit ami.
Françoise – C’est formidable ! Et alors qu’est-ce que vous faites ?
Suzanne – Comme vous ! On va dans ma chambre après déjeuner. On s’assoit au bord du lit. On se sourit. Nous nous prenons la main…
Françoise – Et alors ?
Suzanne – Il me caresse… le haut… le bas…
Françoise – Ah ! et puis ?
Suzanne – Eh bien… comme il n’est pas franc-maçon… nous baisons !